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Le Figaro | Au Cambodge, Hun Sen passe la main à son fils

Hun Manet, le 21 juillet à Phnom Penh. CINDY LIU/REUTERS
Hun Manet, le 21 juillet à Phnom Penh. CINDY LIU/REUTERS

Par François Camps

 

Le despote propulse Hun Manet au poste de premier ministre mais va veiller en coulisses sur le pouvoir.

 

Une page de près de quatre décennies se tourne, mais le roman de la dynastie Hun débute à peine. Trois jours après une victoire écrasante lors d’une élection fantoche, le premier ministre, Hun Sen, a annoncé, mercredi 26 juillet, qu’il ne briguera pas de nouveau mandat. Après plus de trente-huit ans passés à la tête du gouvernement cambodgien, il cède sa place à son fils aîné, achevant une transition népotique prévue de longue date. «Hun Manet prendra ses fonctions en tant que premier ministre du royaume du Cambodge au soir du 22 août», a déclaré en début d’après-midi sur la télévision nationale l’homme fort du pays, qui soufflera sa 71e bougie la semaine prochaine.

 

Dimanche dernier, Hun Manet a été élu député sous les couleurs du Parti du peuple cambodgien (PPC), dirigé par son père, dans l’une des 12 circonscriptions de Phnom Penh. À 45 ans, c’est la première fois que ce général quatre étoiles de l’armée cambodgienne, diplômé de la prestigieuse école militaire américaine de West Point, assume un mandat électoral. Comme prévu par la Constitution du pays de 16 millions d’habitants, sa nomination dans l’Hémicycle lui ouvre les portes de la tête de l’exécutif.

 

Après que le PPC a revendiqué une «victoire écrasante» le soir même du scrutin, l’annonce de cette transition héréditaire était attendue de tous. Disputées en l’absence du Parti de la bougie, la principale force d’opposition disqualifiée par la commission électorale, ces élections ont été vues comme «ni justes, ni équitables» par les démocraties occidentales. Mais en rassemblant 82 % des voix dans les urnes, le parti de Hun Sen s’offre 120 des 125 sièges de la Chambre basse du Parlement. Une victoire totale qui permet à l’autocrate cambodgien de précipiter un calendrier resté délibérément flou jusqu’à présent: durant la campagne électorale, le PPC n’avait pas annoncé de candidat officiel pour le poste de premier ministre.

 

«Mon fils n’hérite pas de ce rôle sans avoir suivi la procédure légale. Il a pris part à l’élection en tant que candidat à la députation et il s’agit d’une étape fondamentale de notre système démocratique», s’est défendu le patriarche lors de son allocution télévisée de 49 minutes. Alors qu’Hun Sen a fait de la «stabilité» l’alpha et l’oméga de sa politique, au prix de multiples entorses aux principes démocratiques, il a dit devoir «sacrifier (son) pouvoir» pour le bien du pays. «Si je reste premier ministre encore un ou deux ans et démissionne en cours de mandat, il y aura de l’instabilité» a prévenu l’ancien Khmer rouge, qui a déserté la guérilla communiste en 1977.

 

Contenter la vieille garde

 

Le début de l’ère Hun Manet ne marque pas pour autant la fin de l’ère Hun Sen. Bien qu’arrivé au pouvoir il y a «trente-huit ans, sept mois et huit jours», comme il n’a pas manqué de le rappeler à la télévision, le vieux tigre politique n’a pas dit son dernier mot. Au contraire, il a réaffirmé qu’il garderait la présidence du PPC, et a annoncé son ambition d’être élu à la tête du Sénat en février prochain. Une position de choix dans l’appareil étatique cambodgien: en l’absence du roi, il revient au président de la Chambre haute de promulguer les lois. Un procédé fréquemment utilisé pour faire passer les textes les plus controversés. «Hun Manet va gouverner dans l’ombre de son père encore un moment, projette ainsi Neil Loughlin, maître de conférences à la City University à Londres. Dans des systèmes où le pouvoir a été largement personnalisé, comme c’est le cas au Cambodge, la menace d’instabilité est accrue.»

 

Le nouveau premier ministre devra donc trouver le point d’équilibre pour à la fois contenter la vieille garde politique, qui souhaite encore jouer un rôle en coulisses, et répondre aux besoins d’une population jeune, avide de développement. 72 % des Cambodgiens ont moins de 40 ans et n’ont jamais connu d’autre dirigeant que Hun Sen. «Je pense que ce changement suscite de l’enthousiasme chez une partie de la population. La plupart des Cambodgiens, qu’ils soutiennent ou pas le parti au pouvoir, vont accorder le bénéfice du doute à cette nouvelle génération», commente Ou Virak, président du groupe de réflexion local Future Forum. Mais après un passage en force dans les urnes, la question de la légitimité du prochain gouvernement, très probablement composé des propres enfants des ministres actuels, se posera à court ou moyen terme.

 

«Hun Manet doit annoncer un programme de réformes clair et concis. Les électeurs attendent des changements de politique économique, mais aussi une amélioration de la gouvernance et de l’État de droit», ajoute l’expert. Mercredi soir, plusieurs heures après l’annonce officielle faite par son père, le futur premier ministre du pays n’avait toujours pas réagi publiquement. Son seul rendez-vous connu à ce jour? Une visite cet automne à Hongkong pour participer au sommet des routes de la soie.

 

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