Histoire de l'Église au Cambodge

Article initialement publié par Mgr Yves RAMOUSSE sur le site des Missions Étrangères de Paris (http://www.mepasie.org/rubriques/haut/pays-de-mission/le-cambodge/)

 

 

I. Le temps des pionniers (1550-1650)

1 - La ligne Alexandre VI et le Padroado

Pendant les quinze premiers siècles de l’ère chrétienne, les prédicateurs de l’Évangile ne s’avancèrent guère au-delà de l’Inde. La tyrannie des distances et le manque de moyens pour les franchir, par mer ou par terre, dressaient des obstacles quasi insurmontables. Il fallut attendre l’arrivée des grands navigateurs pour ouvrir à l’Occident de nouvelles voies, et celle des marchands pour les exploiter, mais surtout des avancées décisives dans l’art de la navigation pour permettre le voyage.

 

L’Occident s’inventait de nouvelles frontières. Outre l’attrait de la découverte, l’enjeu de ces voyages devint rapidement économique et politique. La répartition des nouveaux territoires ouverts aux marchands soulevait des conflits entre les nations pourvues de capitaux et d’une bonne flotte de vaisseaux, à l’exemple de l’Espagne et du Portugal.

 

En 1494 le pape Alexandre VI régla habilement les litiges dans un jugement à la Salomon : il traça sur la carte une ligne qui passait à 200 miles au large de l’Afrique occidentale, et rejoignait les deux pôles de la terre : à l’ouest de ladite ligne, les Espagnols avaient le champ libre, tandis que les Portugais avaient toute liberté de naviguer vers l’est.

 

Le pape chargeait aussi les rois catholiques de ces nations d’une mission spirituelle : ils devaient s’employer à favoriser l’organisation de l’Église dans les territoires découverts. À eux de trouver les missionnaires, de les transporter, de pourvoir à leurs besoins, de construire des églises, et même de désigner les évêques. Les monarques des puissances catholiques devenaient les "patrons" des églises nouvelles. Le Padroado transférait ainsi la responsabilité de l’évangélisation au bras séculier. Ce qui paraissait être une solution pratique et économique pour faciliter l’évangélisation, se révéla terriblement dangereux et contre-productif. Situé au bord du Golfe de Siam, le royaume du Cambodge avec ses côtes peu hospitalières, n’intéressait guère les navigateurs. Le royaume khmer était passablement ignoré et déjà en déclin au milieu du XVIe siècle. Il s’étendait encore à l’est sur la Basse-Cochinchine. Mais ce n’était plus pour longtemps ; car en amont, les Annamites avançaient inexorablement : en trois siècles ils avaient déplacé de 800 kilomètres leurs frontières vers le sud. En 1692, l’ancien Champa qui avait civilisé tout le centre Vietnam avant l’arrivée des Vietnamiens, était annexé au royaume de Cochinchine.

 

Six ans plus tard ce fut le tour de la Basse-Cochinchine. Prey Nokor devint Saïgon et les Annamites entreprirent la colonisation du delta du Mékong, une terre fabuleusement riche en constante progression naturelle, par l’apport annuel de centaines de millions de mètres cubes de limons arrachés aux plateaux de l’Asie Centrale.

 

À l’ouest les affaires n’étaient guère plus reluisantes. Le royaume avait dû céder ses provinces qui formaient le bassin de la Menam. Les rois khmers sous les coups de boutoir des armées siamoises, avaient même dû abandonner en 1432 leur mythique capitale d’Angkor Vat pour la transférer dans des endroits moins vulnérables dans la plaine des Quatre Bras. Ils occupèrent successivement Srey Santhor, Lovek, Oudong et enfin Colompé idéalement située à l’intersection des deux fleuves Mékong et Tonle Sap, et qui s’appellera Phnom Penh, l’actuelle capitale du royaume. Les tentatives pour réinstaller la capitale à Angkor Vat, n’eurent pas de suite, et les fameux temples furent envahis par la brousse tropicale, mais leur souvenir restait dans l’âme khmère comme une blessure jamais cicatrisée, et une fierté jalousement entretenue.

 

2 - Première évangélisation du Cambodge :les missionnaires du Padroado

Cette période d’une centaine d’années (1550 à 1650) est celle des religieux missionnaires soumis à la juridiction lointaine de l'archevêque de Goa, et à "l’exequatur" du roi du Portugal. C’est un frère prêcheur Gaspard de la Croix qui arriva le premier à Peam (l’actuel Ha Tien) en Basse-Cochinchine près de Kampot, en 1550, avec le désir d’entreprendre l’évangélisation du Cambodge.

 

Combien de temps resta-t-il au Cambodge ? Qu’y fit-il ? Il est impossible de le dire. Peut-être cherchait-il seulement une voie terrestre pour aller en Chine par le Cambodge et la Cochinchine ? Peu de temps après en effet, on retrouve le père Gaspard à Macao puis à Canton. Il ne retourna jamais au Cambodge et mourut dans son pays natal. En tous cas Gaspard de la Croix avait ouvert la voie, et réussi à faire comprendre aux rois khmers l’intérêt de la présence de missionnaires portugais et espagnols, pour obtenir des rois très catholiques leur appui militaire dans les guerres incessantes qu’ils menaient contre les Siamois et les Vietnamiens.

 

Douze ans après l’arrivée de Gaspard de la Croix, le roi Setha envoya une ambassade à Malacca "pour demander des missionnaires" et des soldats. Deux frères prêcheurs arrivèrent, suivis du père d’Azevedo, qui vivra quinze ans au Cambodge et connut tour à tour la prison et les honneurs de la cour. C’est ce même dominicain qui avec ses compagnons composa un livret pour présenter la religion chrétienne aux Khmers.

 

Des franciscains les rejoignirent, qui eurent quelque succès et obtinrent en 1590 un édit du roi Setha accordant la liberté à tout citoyen dans son royaume de recevoir le baptême. Puis le fils de Setha, Reachea II lança, en 1597, un appel aux dominicains, franciscains et jésuites, promettant une totale liberté aux chrétiens dans son royaume, et espérant en retour une aide militaire.

 

De fait il y eut des réponses : Malacca envoya des franciscains ; Manille envoya des dominicains espagnols et des jésuites, avec des mercenaires espagnols. Le bilan de cette période reste modeste. Les missionnaires furent peu nombreux, leur présence trop brève et leur action limitée. D’une part ils vivaient dans un contexte troublé de conflits incessants avec les pays voisins, et de querelles intestines entre les communautés chrétiennes divisées par des intérêts nationaux. Beaucoup furent exilés et quelques-uns moururent de mort violente.

 

D’autre part leurs méthodes apostoliques ne semblaient pas bien adaptées. Connaissant fort mal la langue du pays, ils se servaient d’interprètes quand ils en trouvaient un. Ils limitaient leur activités à leurs compatriotes portugais ou espagnols et à leur clientèle la plus proche, qui pouvait parler ou comprendre un peu leur langue. Certaines circonstances particulières amenèrent quelques Cambodgiens à recevoir le baptême mais ces néophytes retournèrent vite à leurs croyances ancestrales quand disparurent les circonstances qui les avaient amenés à changer de religion. Ces déceptions à l'aube de l’évangélisation alimentèrent pour longtemps la conviction, devenue slogan, que les "Cambodgiens sont inconvertissables".

 

II. La Charte missionnaire de 1650 façonne la mission du Cambodge (1650-1800)

1 - Pour l’indépendance de la mission

L’instauration des Patronats espagnols en 1508 et portugais en 1514, révélait ses limites et ses dangers pour l’oeuvre missionnaire. Celle-ci ne dépendait plus des papes, mais des rois catholiques, vrais patrons des églises d’outre-mer. Dans cette optique les missionnaires identifiés aux marchands portugais ou aux soldats espagnols étaient soupçonnés de travailler dans l’ombre à la main mise des Européens sur leur pays. Aux conflits politico-économiques entre Madrid et Lisbonne, s’ajoutaient les rivalités entre les communautés chrétiennes et entre les missionnaires eux-mêmes.

 

Il y eut certes des progrès dans l’évangélisation, mais tout restait fragile et ambigu. Les divergences entre les perspectives des Patronats et celles de Rome allaient bien au-delà des conflits de juridiction. Elles sous-tendaient des visions missionnaires différentes. Le but de la mission telle que pratiquée par le Padroado visait à faire de ces peuples nouveaux, des chrétiens à l’image de ceux du Portugal et de l’Espagne, en un mot assimiler ces populations à la culture hispano-lusitanienne. Rome avait des vues différentes et réclamait l’établissement d’un clergé local, qui pourrait prendre en main le destin des nouvelles Églises, selon les schémas culturels de l’Asie. Une profonde remise en cause était nécessaire.

 

On ne supprime bien que ce que l’on remplace. La remise en cause des privilèges du Padroado fut accompagnée de deux initiatives majeures du Saint-Siège : d’abord la création de la Congrégation de Propaganda Fide, en 1622 par Grégoire XVI. Cette nouvelle institution fut chargée de coordonner l’activité missionnaire, de pourvoir aux moyens financiers et humains de cette entreprise, et de donner des directives précises aux missionnaires.

 

Ensuite le pape se réserva le droit de nommer des évêques et de leur assigner un territoire précis, sans passer par la cour du Portugal ou d'Espagne. Ces nouveaux évêques, appelés vicaires apostoliques, dépendaient directement de lui, et étaient exempts de l’autorité de l’archevêque de Goa. Le Saint-Siège composa en outre des "Instructions aux vicaires apostoliques" leur recommandant de prendre leur distance à l’égard des Patronats, de respecter les autorités et les usages du pays où ils travaillaient, et de s’employer à former un clergé autochtone. Peu à peu ces décrets rognèrent les privilèges de l’Espagne et du Portugal, mais ce ne fut pas sans heurts.

 

2 - Les premiers vicaires apostoliques de la Congrégation de Propaganda Fide

Le 29 juillet 1658, le pape Alexandre VII nomma les premiers vicaires apostoliques, ceux-là même qui fondèrent la Société des Missions Étrangères : Mgr François Pallu (1626-1684) reçut le vicariat apostolique du Tonkin, Mgr Ignace Cotolendi (1630-1662) fut chargé de la mission de Chine, et Mgr Pierre Lambert de la Motte (1624-1679) de la Cochinchine. La mission du Cambodge faisant partie de la Cochinchine jusqu’en 1852, Mgr Lambert de la Motte en fut donc son premier ordinaire de lieu. L’histoire de l’Église au Cambodge est liée à l’histoire de la Société des Missions Étrangères.

 

Munis des Instructions de la Propaganda Fide, les vicaires apostoliques s’embarquèrent pour l’Asie avec des groupes de missionnaires. Après un voyage de deux ans Mgr Pallu et Mgr Lambert de la Motte arrivèrent au royaume de Siam. Il y avait beaucoup de manquants : ils étaient dix-sept à partir ; ils n'étaient plus que neuf à leur arrivée.

 

Avant toute autre activité, ils estimaient urgent de traduire les orientations des instructions romaines données aux évêques en consignes pratiques pour l’apostolat missionnaire. Ils se réunirent en synode et rédigèrent des "Instructions pour la formation apostolique utiles aux missionnaires de Chine, Tonkin, Cochinchine et Siam". Connues sous le nom de "Monita ad missionarios" ces consignes devinrent la référence de l’apostolat missionnaire jusqu’à nos jours.

 

3 - La mission au Cambodge dans l’esprit des Instructions

Le renouveau de l’évangélisation décidé par Rome et mis en place tant en Europe qu’en Asie, avec des objectifs clairs, mit du temps à porter ses fruits. Il heurtait des habitudes prises, des intérêts nationaux et des rivalités de congrégations. Les missionnaires sur le terrain se réclamaient soit de la Propagande, soit des patronats portugais et espagnols, et il suffisait de peu de choses pour provoquer des incidents. Ces querelles étaient malheureusement partagées dans les communautés chrétiennes qui se divisaient.

 

La communauté chrétienne du Cambodge à la fin du XVIe siècle était modeste, formée de quelques petits groupes de Portugais et de métis, égrenés sur les berges du Tonlé Sap à 25 kilomètres de Phnom Penh. Ils étaient divisés, selon qu’ils adhèraient au Padroado avec le clan des Suarez, ou suivaient les vicaires apostoliques avec le clan des Diaz.

 

Ces divergences donnèrent lieu à des mesquineries, voire à des incidents graves. Un groupe de chrétiens japonais avec le Père Donno qui avait cherché refuge au Cambodge fit les frais de ces querelles : l’église de Thonol fut dévastée et le Père Donno sauvagement assassiné.

 

L’aventure missionnaire restait admirable à bien des égards. Il fallait une belle force d’âme aux missionnaires d’Asie, pour s’embarquer à Lorient, dans une traversée périlleuse qui durait de six mois à un an, et aboutissait à Ayuthaya, siège de la Procure des Missions Étrangères.

 

Nombre de missionnaires n’arrivaient jamais dans leur mission, ayant péri en route par suite de naufrages ou accablés par les fièvres. Pendant tout le XVIIe siècle, il n’y eut qu’une quinzaine de prêtres des Missions Étrangères envoyés au Cambodge, et pas plus de six à y travailler plus de trois ans. Les missionnaires des autres congrégations religieuses n’étaient pas mieux équipés. Tous vivaient dans des conditions précaires et mourraient rapidement de fièvres. La mission souffrira toujours d’un manque dramatique de prêtres. Quelques figures de missionnaires ont marqué cette période.

 

Le Père Louis Chevreuil (1627-1693)

Le Père Louis Chevreuil, prêtre du diocèse de Rennes, était arrivé en Asie un an après son évêque Mgr Lambert de la Motte. Il faisait partie du groupe de missionnaires qui à Ayuthaya avaient préparé les "Monita ad Missionarios". En 1664 Mgr Lambert l’envoya en Cochinchine à Fai-fo, visiter une communauté de quelques trois cents catholiques japonais chassés du Japon par les persécutions.

 

Puis il alla à Baria en Cochinchine, où gravement malade, il dut s'arrêter pour se soigner. Il se rendit ensuite au Cambodge, à Colompé (Phnom Penh) où se trouvait une communauté d’immigrés appelée "le Camp portugais". Ce camp rassemblait des groupes de gens assez disparates : Portugais, Annamites, Chinois, Indiens, Malais.

 

Deux prêtres portugais du Padroado, déjà âgés s'occupaient d’eux. Des querelles s’étant élevées entre Chinois et Cochinchinois, une tuerie s’ensuivit. Louis Chevreuil quitta le camp dévasté. Le roi le pressa de continuer son travail auprès des Cambodgiens. Il tenta alors d’évangéliser les Cambodgiens et s’établit à Ponhalu à 25 kilomètres de Phnom Penh.

 

Le Père Chevreuil était rempli d’admiration pour le peuple khmer : "tous ceux que j’ai vus ont le naturel doux et traitable… Ils pratiquent l’hospitalité avec tant de perfection qu’elle ferait honte aux chrétiens, et en quelque village qu’on se trouve ils reçoivent volontiers tous les passants…leur donnant gratuitement tout ce qui est nécessaire". il était impressionné par le mode de vie des moines bouddhistes : "leur vie est si pauvre et austère que pour l’extérieur, elle ne cède en rien à l’austérité des religieux les plus réformés de l’Église".

 

Malgré ces bonnes dispositions, et malgré aussi la faveur traditionnelle du roi, le courant ne passait pas et le P. Chevreuil fit le bilan de ses efforts : "Voici la troisième année que je passe ici sans avoir converti un seul païen…"

 

Lucide, il analyse les raisons d’un tel insuccès : il ne parlait pas la langue du pays, et ne trouvait pas d’interprète valable. De plus il prit la mesure de l’immense influence du bouddhisme : les institutions des Khmers et leur éducation en étaient tellement imprégnées et les bonzes si nombreux (52 pour 1000 habitants !) que cette influence faisait partie intégrante de la vie du peuple.

 

Déçu, le missionnaire se tourna vers les Cochinchinois et entra en conflit avec les prêtres du Padroado. Mis en prison à Macao, et traduit devant le tribunal de l’Inquisition à Goa, son procès aboutit à un non-lieu. Louis Chevreuil sombra dans la dépression et passa le reste de ses jours à prier pour les églises locales. Il avait passé 39 ans en mission. Il mourut en 1693.

 

Mgr Guillaume Piguel (1722-1771) cherche à ouvrir la mission au Cambodge

Mgr Piguel, septième vicaire apostolique de Cochinchine en 1762, choisit de mettre son évêché non en Cochinchine, mais à Pram Bey Chom au Cambodge comme l’avait fait en 1757 son prédécesseur Mgr Armand Lefebvre (1709-1760). Mgr Piguel est sûrement l’un des vicaires apostoliques de cette époque qui a le plus cherché à développer la mission auprès des Cambodgiens, "car le Cambodge est très étendu et plus vaste que la Cochinchine".

 

Il vit de grandes disponibilités pour recevoir l’Évangile. Jusque-là très peu de missionnaires s’étaient intéressés aux Khmers. Si au début, plusieurs missionnaires, franciscains par exemple, avaient orienté leur apostolat vers les Khmers, ces tentatives restaient ponctuelles et sans lendemain. L’Église dans son ensemble continuait à offrir un visage largement étranger : prêtres ou religieux restaient pour la plupart au service de fidèles venus d’ailleurs : Portugais, Cochinchinois, Japonais.

 

La percée fut tentée dans la seconde moitié du XVIIIe par le Père Nicolas Levavasseur (1741-1777). Envoyé par Mgr Piguel dans la région de Kompong Thom, il étudia le khmer, traduisit un catéchisme dans cette langue, construisit une petite église, un petit séminaire et un couvent pour les Amantes de la Croix. En 1775, Mgr Pierre Pigneaux de Béhaine (1741-1799) qui succèda à Mgr Piguel, l’envoya avec deux autres missionnaires français, les Pères Julien Faulet (1741-1783) et Joseph Leclerc (1860-1888), dans la région du Haut-Mékong.

 

Ils s’installèrent ainsi à Chlong, Kratié et Sambor, puis tentèrent l’évangélisation des Stiengs, des Phnoms et des Laotiens. Leur expédition tourna court en raison des fièvres pernicieuses, et le P. Levavasseur mourut en 1777 à Pram Bey Chom. Il avait travaillé dix ans au Cambodge et était considéré justement comme l’un des pionniers de la mission auprès des Cambodgiens.

 

 

4 – Le clergé local

La création d’un clergé indigène était une préoccupation constante chez les missionnaires de la Propaganda Fide. C’était la base de leur apostolat : vicaires apostoliques et missionnaires firent preuve d’imagination pour recruter et former des jeunes en les faisant participer à leurs travaux apostoliques, mais aussi en ouvrant, malgré tracasseries et persécutions, des lieux de formation, sans cesse démolis, rebâtis ou déplacés, encouragés par la Propaganda Fide qui poussait les responsables à multiplier ces petits foyers de formation dans chaque mission. La liste est longue de ces séminaires éphémères : Ayuthaya et Penang, où se trouvait le collège général, mais aussi Cay Quao, Lai Thieu, Hatien, et au centre du Cambodge Pram Bey Chom, Thonol.

 

Cette préoccupation pour promouvoir le clergé du pays, a peut-être influencé le choix du quatrième vicaire apostolique de Cochinchine qui était un Asiatique, Mgr Perez, ordonné en 1691. Né au Siam, d'un père manillais et d'une mère siamoise, il fut admis au collège général où il se distingua par son intelligence précoce et sa piété. Mgr Louis Laneau (1637-1696) le choisit pour administrer la Cochinchine et le Cambodge.

 

Les esprits étaient-ils prêts à accepter cette initiative ? On parle de lui comme d’un prélat respectable, mais qui eut des difficultés à faire respecter son autorité par les missionnaires européens travaillant sous ses ordres. Un coadjuteur lui fut donné en la personne de Mgr Charles Labbé (1648-1723). Mgr Perez mourut en 1728 après 27 ans d’épiscopat. Il fallut attendre presque 250 ans avant qu’un autre vicaire apostolique indigène soit choisi dans l’Église du Cambodge.

  

5 - Pigneaux de Béhaine : sauver la mission de Cochinchine !

Les trois vicaires apostoliques qui vinrent s’établir successivement au Cambodge, cherchaient d’abord une terre de refuge pour s’abriter des persécutions qui sévissaient en Cochinchine. Ils y voyaient aussi une base providentielle pour reconstruire la mission de Cochinchine à partir du Cambodge.

 

Le huitième vicaire apostolique de Cochinchine et du Cambodge, Mgr Pigneaux de Béhaine, sacré en 1775, s’est illustré par le rôle politique qu’il crut devoir assumer pour sauver la mission de Cochinchine. La révolte des Tay son, du nom de trois frères tonkinois qui jouaient "les robins des bois" auprès des déshérités, s’étendait dans toutes les provinces. Dès 1882, les Tay son prirent Hué, puis Saïgon où ils massacrèrent plus de dix mille personnes. Ils mirent le prince Nguyen Anh en déroute et promulguèrent des édits très violents contre la religion chrétienne.

 

Mgr Pigneaux pensa assurer la paix de la mission en s’appuyant sur la faveur royale comme c’était le cas au Cambodge. Mais il fallait d’abord aider le roi Nguyen Anh à récupérer son trône. L’évêque et le prince se rencontrèrent dans les îles du Golfe du Siam où ils se réfugièrent. Le prélat proposa de recourir à la France.

 

Une expédition fut montée, dirigée par Mgr Pigneaux accompagné du jeune prince Canh, fils de Nguyên Anh, afin de solliciter le soutien du roi de France, Louis XVI.

 

C’était une initiative risquée, et assez éloignée des recommandations de la Propaganda Fide. Beaucoup de missionnaires émirent des doutes sur l’opportunité de cette initiative "craignant de se faire couper la tête, non en haine de la religion, mais en haine des Européens qui veulent rétablir le roi de Cochinchine sur son trône".

 

La mission eut un succès mitigé, mais elle permit à Nguyên Anh de reprendre l’avantage sur les rebelles, et de reconquérir son royaume de Saïgon à Hué. En 1802 Nguyên Anh se proclama empereur sous le nom de Gia Long et appella son empire le "Vietnam", lequel s’étendait de la frontière chinoise au delta du Mékong gagné surle Cambodge.

 

La guerre civile des Tay son avait débordé jusqu’au Cambodge. Les Tay son poursuivirent les gens venus se réfugier dans ce pays, y massacrèrent les mandarins locaux, et firent reconnaître leur autorité par le roi khmer. De leur côté les Siamois intervinrent également au Cambodge afin de contenir le péril des Tay son. Mais au passage ils annexèrent les provinces d'Angkor et de Battambang. Pendant plus de dix ans, le Cambodge fut le champ clos des rivalités entre Siamois et Vietnamiens et les Khmers furent enrôlés de force par les deux camps.

 

Mgr Pigneaux de Béhaine n’avait fait que deux séjours de six mois au Cambodge. Il résidait habituellement à Ha-tien, (Cancao) et près de Saïgon. Quand il mourut en 1799, la mission du Cambodge avait perdu plus de la moitié de ses effectifs. Un groupe de 900 chrétiens avaient été emmenés de force à Bangkok où ils fondèrent une paroisse. Il en restait 300 à Battambang et une centaine à Phnom Penh, pour moitié des Cambodgiens et des Cochinchinois.

 

Une page se tournait, l’enjeu de ces conflits était en train de changer de nature. Il ne s’agissait plus pour les nations occidentales anglaises, hollandaises, portugaises espagnoles et françaises, d’une guerre économique où chacun s’efforçait d’ouvrir des comptoirs aux meilleurs endroits, mais de s’assurer des positions stratégiques, d'éliminer les rivaux, et d'annexer des territoires.

 

Les guerres coloniales prenaient le relais des luttes commerciales. L’ère des guerres coloniales commençait en Asie du Sud-Est. 

 

III. Le temps des protecteurs (1800-1950)

1 - Les années noires

La première moitié du XIXe siècle compta parmi les années les plus sombres de l’histoire du Cambodge. Bloqué entre Vietnam et Siam, deux puissances en pleine expansion, le sort du Cambodge était scellé. Le royaume sombra dans l’anarchie.

 

Chaque fois que disparaissait un roi khmer, une lutte féroce éclatait entre les prétendants au trône, chacun faisant appel à son protecteur. Les troupes siamoises ou annamites se hâtèrent de soutenir leur protégé et firent payer leurs bons offices en dépeçant un peu plus le royaume de ses provinces périphériques. Même Angkor le berceau de la culture khmère, ne fut pas épargné : il devint siamois, ainsi que Battambang, Mongkolborei et Sisophon. À cette époque le royaume ne comptait que 800.000 sujets dispersés sur un territoire de 100.000 kilomètres carrés. Le peuple khmer fut soumis à la corvée.

 

Les Siamois déportèrent 10 000 Cambodgiens pour creuser les canaux de Bangkok. Vingt ans plus tard, les Vietnamiens firent de même pour creuser le canal de Hatien.

 

La tutelle du Vietnam sur le Cambodge atteignitson apogée sous le règne de l’empereur Minh Mang (1820-1841). En 1840 les Vietnamiens firent prisonnier le roi Ang Em, pourtant en résidence surveillée par les Siamois, et l’emmenèrent dans une cage de fer à Hué où il mourut en 1843. L’empereur finit par annexer purement et simplement le Cambodge qui perdit entre 1841 et 1845 son identité politique. Le pays fut alors directement administré par le général vietnamien Truong Minh Giang.

 

Les gouverneurs khmers furent doublés par des fonctionnaires vietnamiens, la langue et le costume vietnamiens furent imposés. On sait combien le règne de Minh Mang fut cruel pour les missions de Cochinchine. La religion chrétienne fut officiellement proscrite, les missionnaires et les chrétiens furent recherchés. Beaucoup tentèrent de se réfugier au Cambodge où le roi protégeait en principe les chrétiens, mais ne pouvait rien faire quand son suzerain Minh Mang décidait de les y pourchasser.

 

Désormais au Cambodge comme en Basse-Cochinchine, les chrétiens furent administrés sporadiquement, au mieux une fois par an, tant le nombre de prêtres avait diminué et les conditions de travail étaient devenues périlleuses. À un certain moment il n’y eut plus d’évêque et le plus ancien des trois missionnaires en poste prit la direction du vicariat.

 

Cette époque désastreuse fut illuminée pourtant par la gloire des martyrs. Ils furent nombreux les martyrs de Basse-Cochinchine : fidèles, prêtres du pays et missionnaires étrangers.

 

Dans le groupe des 128 martyrs canonisés en 1988, on relève les noms de trois prêtres de la Société des Missions Étrangères : Saint Isidore  Gagelin (1799-1833), Saint Joseph Marchand (1803-1835) et aussi de Saint Étienne Cuenot (1802-1861), qui fut pendant quatre ans vicaire apostolique pour le Cambodge.

 

C’est lui qui en 1844 fit détacher de son trop vaste vicariat de Cochinchine, le royaume du Cambodge et les six provinces de Basse-Cochinchine, pour former le vicariat apostolique de Cochinchine occidentale et du Cambodge.

 

Ce nouveau vicariat fut confié à Mgr Dominique Lefebvre (1810-1865), aidé de 16 prêtres cochinchinois et de 3 missionnaires de la Société des Missions Étrangères, dont le père Jean-Claude Miche (1805-1873).

 

2 - Vers le protectorat français : Mgr Miche : un prélat à la cour de Oudong

L’histoire aime à se répéter. La relation entre Mgr Miche et le roi Ang Duong était bien proche de celle qui s’était établie entre Mgr Pigneaux et le prince Nguyên Anh. Le prince khmer vivait à la cour de Bangkok où il avait rencontré Jean Claude Miche qui parlait le khmer. Le prince bien conscient qu’il ne pourrait survivre longtemps à vouloir se garder à la fois des Vietnamiens et des Siamois, comprit le profit qu’il aurait à demander l’aide de la France par l’intermédiaire du prêtre.

 

An Duong fut couronné roi à Bangkok en 1846. Dès son retour à Oudong, il fit reconstruire la paroisse de Ponhalu puis appela le Père Miche qui y fut reçu en grande pompe. En trois ans le Père Miche restaura la paroisse. Lorsque en 1850, il devint vicaire apostolique, son territoire fut à nouveau démembré de ses provinces cochinchinoises. Le vicariat apostolique du Cambodge se réduisit alors à 600 chrétiens, groupés en deux paroisses et trois prêtres pour les administrer.

 

Le roi continuait à mettre en place sa stratégie; en 1853 il organisa avec le prélat une mission auprès de Napoléon III. Elle échoua et An Duong mourut sans avoir pu réaliser son projet. Son fils Norodom lui succéda, mais il eut d’abord à lutter contre son propre frère qui convoitait le trône. Mgr Miche encouragea les catholiques à soutenir Norodom contre Si Vutha, et s’employa à faire entrer Norodom dans sa capitale à Oudong en 1862. Dès lors les pourparlers purent reprendre.

 

En juillet 1863, Norodom plaça son royaume sous la protection de la France afin de l’empêcher d’être annexé par ses voisins. Mais ce que le Cambodge gagnait en sécurité il allait le perdre en liberté. Le protectorat dura 90 ans au cours desquels le Cambodge fut "protégé" bien au delà de ses premières attentes.

 

3- Le royaume du Cambodge sous le protectorat français

Le roi Norodom n’avait pas signé le traité de protectorat sans réticence. Tout au long de ses 42 ans de règne, il s’efforça de limiter les prétentions de ses protecteurs et de conserver au mieux l’essentiel de sa souveraineté. S’il acceptait de dépendre de la France pour les relations extérieures, il répugnait fortement à abandonner ses prérogatives dans les affaires intérieures, et repoussait toute remise en question des traditions et coutumes khmères.

 

Le peuple également opposa des résistances : deux ans après la signature du traité, l’aventurier Pokumbo, tenté par le pouvoir, trouva aisément la faveur du peuple pour soulever quatre provinces de l’est contre les occidentaux et le souverain qui les avait accueillis. Il s’approchait d'Oudong lorsqu’il fut arrêté et décapité. Mais il avait eu le temps, et c’est significatif, de détruire deux chrétientés et de faire assassiner le Père Jean-Baptiste Barreau (1826-1867).

 

Les réformes n’allant pas au train souhaité, le lobby cochinchinois de Saïgon, qui militait pour une "colonisation" du Cambodge, durcit sa main mise sur le pays.

 

En 1884 le gouverneur de Cochinchine Thomson appuyé par les canonnières montées à Phnom Penh, obligea le roi à signer une convention qui transforma pratiquement le protectorat en colonie à l’image de la Cochinchine. Le traité de 1884 dépouillait le roi de ses pouvoirs traditionnels : il règnait mais ne gouvernait plus.

 

La riposte populaire avec l’approbation tacite de Norodom, ne se fit pas attendre : une insurrection générale éclata contre le traité de 1884. Voyant qu’il s’était fourvoyé, le protectorat assouplit sa position et restitua au roi une part de son autorité. Le Cambodge sauvait en partie son identité face à "l’Indochine française", où les Khmers n’auraient plus été qu’une minorité ethnique largement dominée par les Vietnamiens.

 

Et de nouveau au cours de ces émeutes, des églises furent détruites et un autre missionnaire tué. En 1904, à la mort du roi Norodom, que le protectorat trouvait un peu encombrant, le résident supérieur poussa à choisir le prince Sisowath, partisan d’une collaboration docile. Son règne dura 23 ans pendant lesquels le royaume obtint en 1907 un succès majeur : la restitution par la Thaïlande des provinces où étaient édifiés les temples d’Angkor, berceau de la civilisation khmère.

 

À vrai dire, ces territoires avaient été attribués par la France au Siam, dans le traité de 1867, en échange de l’abandon de la suzeraineté siamoise sur le Cambodge ! Le roi Norodom avait protesté continuellement contre ce traité, signé en son nom et sans sa participation. Il avait fallu 40 ans de négociations pour réparer cette bévue. Il n'est pas question de faire le bilan du protectorat, qui sans surprise est mitigé. Bien des choses furent faites mais beaucoup restait à faire. Au plan des réussites, il est juste de citer la création de l’École Française d’Extrême-Orient, en 1898, qui fit un travail considérable pour réhabiliter les sites angkoriens et restituer leur histoire. Grâce à ce travail, tout un pays peut redécouvrir la splendeur de son passé et y puiser des références qui alimentent sa fierté nationale.

 

Par contre le protectorat a aussi par deux fois amputé le Cambodge : d’abord en 1939, la ligne Brevié octroya à la Cochinchine l’île de Koh Tral dont les eaux territoriales se révèlent aujourd’hui prometteuses en richesses pétrolières. Dix ans plus tard la Cochinchine occidentale ou Bas-Cambodge, fut rattachée au Vietnam. Les Cambodgiens continuent de reprocher amèrement à la France censée les protéger, ces mutilations de leur patrimoine.

 

4 - La mission catholique au temps du protectorat

L’article 17 du traité de 1863 qui instaurait le protectorat, reconnaît "aux missionnaires catholiques le droit de prêcher, d’enseigner, de construire des églises, des écoles, des couvents et autres édifices pieux sur tous les points du royaume du Cambodge". Le protectorat perpétuait l’attitude traditionnellement bienveillante des rois khmers envers la religion catholique.

 

Dans le nouveau climat de paix et de stabilité, la mission put s’organiser dans la durée.

 

Les institutions

L’œuvre des séminaires restait prioritaire. Un grand et un petit séminaire furent fondés à Culao Gieng en Cochinchine en 1873, et les trois premiers prêtres furent ordonnés en 1888. Le grand séminaire fut ensuite fondé à Phnom Penh en 1917 avec 20 séminaristes. En 1939 les séminaristes furent envoyés à Hanoi, à Saïgon, à Penang et en France. En 1964 Mgr Yves Ramousse (1928-...) ramène le grand séminaire à Phnom Penh, avec une douzaine d'étudiants. De 1872 à 1975, le séminaire forma 158 prêtres : 147 Vietnamiens, 6 Chinois et 5 Cambodgiens. Le premier prêtre cambodgien fut ordonné en 1957, soit 300 ans après le début de la mission du Cambodge.

 

Les Congrégations religieuses s’intéressèrent aussi à un pays où elles pouvaient faire prospérer leurs œuvres. Les Amantes de la Croix devenues "Filles de Marie" de Russeykeo étaient les seules au travail, longtemps avant le protectorat. Bien plus tard, en 1915, la congrégation des Frères catéchistes locaux de la Sainte Famille de Banam fut fondée.

 

Des congrégations venues de l’extérieur les rejoignirent. Les Sœurs de la Providence de Portieux s’installèrent en Cochinchine en 1875 et à Phnom Penh en 1881, sur un terrain que le roi leur avait accordé. Les Frères des Écoles Chrétiennes ouvrirent une école primaire en 1906. Le carmel de Saïgon envoya une équipe fondatrice à Phnom Penh en 1919. Les derniers arrivés furent les moines bénédictins de la Pierre-qui-Vire, installés à Kep en 1952.

 

Les communautés chrétiennes

Au moment de l’instauration du protectorat en 1863, les chrétiens au Cambodge n’étaient que 1700, accompagnés par 8 missionnaires. À mi-protectorat, ils étaient plus de 30 000 avec 58 missionnaires et prêtres locaux.

 

Ils furent même 165 000 au moment de l’indépendance, desservis par une centaine de prêtres. Cette réussite paraît impressionnante, mais ne manque pas d’ambiguïté : elle est à interpréter dans le contexte de la mission du Cambodge, composée à 90 pour cent de chrétiens étrangers, et très faiblement présente auprès du peuple cambodgien.

 

Au début du protectorat, les chrétiens vietnamiens de Basse-Cochinchine affluèrent en foule au Cambodge à la recherche de plus de sécurité. Plus tard ce mouvement de migration s’inscrivit dans la politique du Protectorat qui cherchait à peupler le Cambodge dangereusement sous peuplé par rapport aux Siam.

 

Le mouvement s'accentua même après 1870, lorsque les deux provinces de Hatien et de Chaudoc en Basse-Cochinchine furent de nouveau rattachées au vicariat apostolique de Phnom Penh. Cette mesure eut des conséquences négatives pour la mission auprès des Cambodgiens.

 

Le centre du vicariat fut déplacé en Cochinchine. Les œuvres vives de la mission, noviciat, séminaire, allèrent s’établir à Culao Gieng. Jamais la mission auprès des Cambodgiens, ne fut aussi menacée.

 

Une dizaine de missionnaires qui travaillaient au Cambodge, bien conscients du danger encouru, signèrent en 1902 un mémoire destiné aux directeurs du Séminaire des Missions Étrangères de Paris. Ils demandaient que le Cambodge fut à nouveau séparé des provinces cochinchinoises, car disaient-ils, "les trois seules chrétientés cambodgiennes noyau de la mission du Cambodge sont devenues des annexes de chrétientés annamites. La langue cambodgienne est devenue facultative pour les jeunes missionnaires. Il n’y a plus que trois prêtres capables de parler cambodgien. La langue vietnamienne est devenue la seule en usage dans le vicariat. Que reste t-il de la mission du Cambodge? ".

 

L’accès aux terres à défricher ainsi facilité, des dizaines de grosses chrétientés vietnamiennes se fondèrent sur les berges des fleuves au Cambodge, ou sur de vastes concessions dans les plaines à riz de Basse-Cochinchine. Alors apparut un nouveau type de missionnaire connu dans toute l’Indochine française, le missionnaire-planteur qui pratiquait une forme de pastorale basée sur l’accès à la propriété de la terre.

 

Ayant obtenu la concession d’un terrain, il invitait quelques familles chrétiennes pour le défricher, et peu à peu se crérent de nouvelles communautés chrétiennes homogènes, qui n’échappèrent pas toujours au péril de se fermer en ghettos. Le missionnaire lui-même partageait les dures conditions de vie des défricheurs, parlait leur langue, adoptait leurs coutumes.

 

Mi-patriarche, mi-mandarin, il dirigeait la communauté en paterfamilias. On attendait de lui qu’il protègea "ses chrétiens" contre l’administration coloniale, les petits mandarins et les pirates et qu’il assura paix et prospérité à la communauté dont il était en charge.

 

IV. L'indépendance et le Concile (1950-1975)

1 - Sihanouk père de l’indépendance

En 1941 un nouveau roi fut couronné : Norodom Sihanouk qui eut un destin aussi exceptionnel que tragique et qui occupera le devant de la scène politique pendant plus de 50 ans. Son premier mérite fut d’avoir obtenu l’indépendance de son pays sans verser de sang.

 

Il sut d’abord contrôler l’agitation des Khmers Issarak qui réclamaient à la fois l’indépendance et la fin de la monarchie. Il sut vaincre aussi les réticences de la France, qui laissait traîner en longueur les négociations.

 

L’année 1953 fut décisive. Pour forcer la main de la France, le roi quitta Phnom Penh, se réfugiea à Siemreap d’où il lança la "Croisade royale de l’indépendance". La France reconnut l’indépendance totale du Cambodge, célébrée le 9 novembre 1953, un an avant les Accords de Genève, qui signèrent l’indépendance du Laos et du Vietnam.

 

À Genève Sihanouk obtint même un succès important : l’évacuation du territoire cambodgien par les maquis vietminh qui regagnèrent Hanoi en emmenant avec eux les Khmers Issaraks.

 

Sihanouk qui brûlait de jouer un grand rôle politique, démissionna de sa charge royale en faveur de son père, fonda le mouvement royaliste du Sangkum Reastr Niyum (la Communauté Socialiste populaire) et remporta facilement les élections. Le petit peuple conquis l’appellait affectueusement Samdech EU "Monseigneur Papa".

 

De 1954 à 1970 Samdech Eu gouverna sans partage sinon sans opposition. Le pays connut une ère de paix dans l’indépendance. Les réalisations du Sangkum dans le domaine de l’alphabétisation, de la modernisation de l’agriculture, et dans le lancement d’une véritable infrastructure industrielle sont remarquables.

 

En politique extérieure, Sihanouk préconisait une attitude de neutralité. Il était de tous les rassemblements des non alignés. Sa politique d’équilibre dans les grands conflits qui agitèrentt la région était difficile à tenir. Cette neutralité s'orienta de plus en plus vers la Chine et Hanoi. Finalement il ne peut éviter de tolèrer la présence de sanctuaires vietminh sur son sol.

 

Les reproches du Sud Vietnam et des États-Unis se firent de plus en plus insistants. En 1963, Sihanouk rompit les relations diplomatiques avec Saïgon, et en 1965 avec les États-Unis.

 

La classe bourgeoise et les milieux financiers ne purent accepter plus longtemps cette politique. Les élections donnèrent la victoire à l’opposition, et profitant de l’absence de Sihanouk en voyage en Russie et en Chine, le général Lon Nol le destitua le 18 mars 1970 et le condamna à mort quelques mois après. Sihanouk prit le maquis et établit un gouvernement en exil. Une nouvelle page d’histoire s’ouvrait devant lui.

 

2 - La mission du Cambodge au tournant de l’indépendance

Au moment où étaient signés les accords de Genève, la carte de la mission du Cambodge fut une fois de plus remaniée. La mission se sépara à nouveau des provinces de Basse-Cochinchine. Le vicariat apostolique de Phnom Penh correspondait désormais aux seules limites du pays.

 

Un nouveau vicaire apostolique fut ordonné en 1956. Mgr Gustave Raballand (1901-1973) eut à gérer une situation qui n’était pas particulièrement brillante.

 

Son vicariat apostolique était réduit à 44 500 fidèles, dont 2 200 Cambodgiens. Alors qu’il en comptait 120 000. Dans leur grande majorité, les 80 prêtres vietnamiens avaient manifesté leur volonté de rester ou de retourner travailler en Basse-Cochinchine. Parmi les 25 missionnaires étrangers en mission au Cambodge, trois seulement parlaient la langue khmère, pour desservir les six chrétientés cambodgiennes du royaume.

 

Mgr Raballand qui ne parlait pas le khmer, se rendait parfaitement compte qu’une nouvelle pastorale devait être mise sur pied, pour répondre aux aspirations des jeunes missionnaires désireux de servir la mission auprès des Cambodgiens.

 

Il demanda aux nouveaux arrivants d’apprendre les deux langues, vietnamienne et cambodgienne. Il favorisa l’ouverture d’un foyer d’étudiants khmers, et le lancement du premier journal catholique en Khmer, le "Neak Nom Sar" (Le Messager) qui eut une existence éphémère. Il donna sa démission au bout de six ans. Il fut remplacé, en 1963, par Mgr Yves Ramousse.

 

3 – La mission au tournant du Concile Vatican II

Le Concile du Vatican venait de s’ouvrir. Le nouvel évêque du Cambodge rencontra dans l’aulaconciliaire de la Basilique Saint-Pierre, les deux évêques du Laos, Mgr Loosdregt et Mgr Rosière Arnaud (1904-1972). Tous trois décidèrent de fonder une unique conférence épiscopale. La conférence épiscopale du Laos et du Cambodge (CELAC) commença à se réunir dès la fin du Concile, et fut officiellement érigée en 1971. La CELAC eut un impact décisif pour lancer la mise en œuvre du Concile dans les deux pays.

 

Mgr Ramousse avait invité le chanoine Boulard, sociologue, bien connu pour ses travaux dans l’Église de France à venir au Cambodge. Ses visites étaient marquées par l’étude des documents du Concile et par une réflexion approfondie sur l’action pastorale et missionnaire. Il fit remarquer certaines évidences : nos implantations étaient quasi exclusivement rurales.

 

Plus grave encore, nous étions inculturés dans des minorités étrangères au Cambodge sans dialogue avec l’environnement socio-culturel. À demi-mot le chanoine suggérait que la mission n’avait pas tiré toutes les conséquences de la décolonisation.

 

L’une des grandes initiatives de la CELAC fut de lancer l’étude systématique du bouddhisme dans les deux missions. Par chance le Père Marcello Zago, prêtre Oblat de Marie, expert en bouddhisme, travaillait au Laos. Des sessions furent organisées dans les deux pays, pour les prêtres, religieuses et laïcs. Elles contribuèrent puissamment à changer le regard des missionnaires sur l’environnement religieux de leur apostolat.

 

Une tâche s’imposait : donner à l’Église locale un visage plus khmer et relancer l’évangélisation auprès du peuple cambodgien.

 

 

Dans 90 % des communautés chrétiennes la langue utilisée en catéchèse et en liturgie était le vietnamien, en concurrence dans les institutions avec le français (séminaires, noviciats).Le Cambodgien n’était jamais employé dans les réunions de la mission. Le passage au khmer pourtant limité à la connaissance de quelques prières usuelles, fut mal reçu au premier abord. Il fallut prendre des mesures exceptionnelles comme la fermeture du grand séminaire pendant un an, pour mettre tout le monde à l’étude du khmer.

 

3 - L’Église du Cambodge devient khmère

C’est en 1968 que fut décidée la partition du vicariat apostolique de Phnom Penh, justement pour faciliter la mise en place de ces nouvelles orientations.

 

Deux préfectures apostoliques furent créées, l’une à Kompong Cham confiée à Mgr André Lesouëf (1918-2004), l’autre à Battambang, qui eut pour premier ordinaire de lieu l’un des deux seuls prêtres cambodgiens de la mission, Mgr Tep Im Sotha brillant sujet de 37 ans. C’était un premier pas vers la khmérisation des institutions de l’Église. Ce mouvement, qui prétendait changer les habitudes acquises, aurait sans doute pris beaucoup de temps pour porter des fruits.

 

Il reçut une accélération aussi dramatique qu’inattendue, lorsque les Vietnamiens furent chassés du Cambodge. Le coup d’état de Lon Nol était dirigé contre les Vietminh, avec l’appui des États-Unis qui pensaient pouvoir mettre fin au conflit vietnamien en mettant dans leur jeu le "domino cambodgien". Or les Vietnamiens résidant au Cambodge étaient considérés comme pro-vietminh.

 

Le coup d’état fut accompagné de pogromes anti-vietnamiens. Les communautés chrétiennes de Phnom Penh furent particulièrement visées : des églises furent saccagées, et dans la nuit du 13 avril 1970, les soldats de Lon Nol massacrèrent tous les hommes de la paroisse de Chruichangwar à Phnom Penh. Les corps des 515 victimes jetés dans le Mékong, flottèrent jusqu’au Sud Vietnam.

 

Dans les semaines qui suivirent, le gouvernement chassa brutalement les Vietnamiens du Cambodge. Plus d’un demi-million de réfugiés furent cantonnés dans des camps provisoires puis expulsés au Vietnam par la route ou par le fleuve. Rien n’avait été prévu pour les recevoir.

 

L’Église leur ouvrit ses chapelles, ses couvents et ses écoles et mit tout son personnel et ses moyens à la disposition des expulsés. Le bilan était terrible pour la mission catholique : en moins de trois mois, elle perdait les trois-quart de ses effectifs. 54 000 chrétiens quittaient le pays en abandonnant maisons, églises et institutions. Trois cents religieuses, des dizaines de catéchistes, une quarantaine de prêtres vietnamiens et missionnaires de la Société des Missions Étrangères, partirent au Vietnam avec leurs communautés, pour les aider à se réinstaller. Il ne restait plus au Cambodge qu’une dizaine de milliers de fidèles khmers et chinois, avec une poignée de prêtres et de religieuses parlant la langue du pays.

 

L’Église du Cambodge était réduite à la situation biblique des "petits restes" avec leur fragilité et leur espérance. Deux leçons furent tirées de ces événements : le service des réfugiés nous apprit que l’on ne se trompe jamais de pastorale en servant les plus pauvres. Une Caritas diocésaine fut fondée à cette occasion qui travailla pendant tout le temps de la guerre. D’autre part nous comprenions qu’on ne pourrait jamais porter l’Évangile au peuple cambodgien sans un vrai processus d’inculturation. La langue khmer devint la langue prioritaire de la liturgie et de la catéchèse, la traduction œcuménique de la Bible fut entreprise.

 

Le point culminant de ce processus fut marqué par l’ordination à Phnom Penh du premier évêque khmer, le 14 avril 1975. C’était le jour de l’An coutumier, et la ville assiégée était copieusement bombardée à la roquette par les Khmers rouges.

 

C’est dans le fracas des explosions qu’au milieu d’une centaine de fidèles, le père Joseph Salas à l’âge de 37 ans devint le premier vicaire apostolique khmer de Phnom Penh. Personne ne pouvait imaginer le destin qui lui était réservé.

 

V. Le génocide des Khmers rouges (1975-1990)

1 - Le "Glorieux 17 avril"

Deux figures ont dominé la vie politique du Cambodge pendant le dernier quart du XXe siècle. Père de l’indépendance, l’inusable "prince Sihanouk" fut chassé du pouvoir par le coup d’état de 1970. Il prit le maquis pendant 5 ans auprès des Khmers rouges qui grâce à lui virent leurs rangs passer de 4 000 à 60 000 hommes.

 

Il devint chef de l’État du Kampuchea Démocratique des Khmers rouges pendant 15 jours et donna sa démission. Mis en résidence surveillé il échappa au blitz vietnamien, et prit pendant huit ans la tête de la résistance à l’occupation vietnamienne. Il négocia les Accords de Paris et redevint roi en 1993.

 

L’autre figure est celle du révolutionnaire Pol Pot, de son vrai nom Saloth Sar. Issu de la classe bourgeoise, il avait fait des études en France dans les années cinquante avec quelques autres jeunes gens qui devinrent ses principaux collaborateurs. Ils étaient inscrits au parti communiste français. À leur retour au pays, toute cette équipe recherchée par la police de Sihanouk était entrée dans la clandestinité. La conquête du pouvoir, qu’ils prétendirent mener seuls sans l’appui des Vietnamiens, dura 5 ans. Phnom Penh tomba entre leurs mains le 17 avril 1975.

 

Au fur et à mesure de leur progression vers la capitale, ils établissaient systématiquement les bases du régime qu’ils avaient conçu dans leur esprit dévoyé. Au mois de janvier 1976, ils promulguèrent la Constitution du nouveau régime qui se définit comme celle d’un état collectivisé sans classes sociales. Le Kampuchea démocratique ferma ses frontières, boycotta toutes les relations internationales, et se retira dans un isolement farouche. Pol Pot "Frère numéro Un", dirigea son régime d’une main de fer.

 

Une guerre se terminait qui avait fait des centaines de milliers de morts. Neuf prêtres étaient décédés de mort violente dont Mgr Tep Im, exécuté après la prise de Battambang, deux prêtres diocésains, un bénédictin français et cinq prêtres des Missions Étrangères. Mais le pire était encore à venir. Trois jours après le sacre de Mgr Joseph Salas, les hommes en noir de Pol Pot entrèrent en vainqueur à Phnom Penh. Sans prendre le temps de fêter leur victoire, ils obligèrent les deux millions et demi d’habitants à prendre la route, à marcher jusqu’à épuisement, puis ils les répartir dans des camps de travail forcé. Le nouvel évêque khmer avec les prêtres et les religieuses du pays, ainsi que les fidèles de la ville se mêlèrent à l’immense troupeau des déportés. Les étrangers de toutes nationalités ne furent pas dispensés de l’exode universel. Regroupés dans les jardins de l’Ambassade de France, ils furent reconduits en camion, à la frontière de Thaïlande. Mgr Ramousse, Mgr Lesouëf étaient dans le camion molotova n° 17.

 

2 - Les Khmers rouges au pouvoir

Les Khmers rouges ont voulu refondre brutalement la société et la culture khmers. Il fallait disaient-ils, "renverser le panier" "renaître du grain de riz", "éclipser la gloire d’Angkor". La vie urbaine fut supprimée, l’argent démonétisé, les populations groupées en unités de travail sur des chantiers pharaoniques devant assurer la maîtrise de l’eau. Toute opposition était punie de mort, toute opinion personnelle prohibée. Le pays devint une prison sans barreau. Ce régime dura trois ans huit mois et vingt jours. Un million sept cent mille personnes moururent de faim, de sévices ou d’épuisement. Au moins trois cent mille furent exécutés sans procès. La prison d’état de Tuol Sleng fit 17 000 victimes soumises à la torture judiciaire.

 

Les Khmers rouges firent le mauvais calcul de s’en prendre aux Vietnamiens, leurs frères en révolution, qu’ils accusaient de détenir indûment les provinces du Bas-Cambodge. Ils se faisaient forts de les récupérer. En 1977 et 78 les attaques se multiplièrent contre les villages vietnamiens frontaliers, tandis qu’à l’intérieur les purges contre "la 5ème colonne vietnamienne" se firent de plus en plus sanglantes.

 

Les Vietnamiens ripostèrent en envahissant par deux fois l’est du Cambodge. Nombre de cadres khmers rouges de la zone Est, en désaccord avec Pol Pot, se réfugièrent au Vietnam où ils formèrent un Front National de Salut. Le 1er janvier 1979, le général Van Tien Tung envahit le Cambodge. En une semaine le régime khmer rouge s’effondra, l’armée vietnamienne entra dans Phnom Penh déserte, et mit en place la République Populaire du Kampuchea.

 

La défaite des Khmers rouges en 1979 ne signifiait pas le retour à la liberté. La République Populaire établit par les Vietnamiens était un régime calqué sur le marxisme léninisme de Hanoi. Les Vietnamiens imposèrent la lourde tutelle de leurs soldats, de leurs commissaires politiques, de leurs fonctionnaires et de leurs colons. L’occupation dura dix ans sous le prétexte de se garder du péril des Khmers rouges. Elle a attisé pour longtemps l’antipathie séculaire des Cambodgiens envers leurs voisins.

 

3 - Veilleur où en est la nuit ? L’Église du silence

Mgr Salas en nous disant adieu sur la route de la déportation, nous avait recommandé : "surtout ne nous oubliez pas! Parlez de nous. Priez pour nous". Le devoir de mémoire et de fidélité nous était confié.

 

Dès notre sortie du Cambodge, le père François Ponchaud (1939-...) publia un livre bouleversant. sur la tragédie majeure qui se déroulait dans le huis-clos des Khmers rouges. Le témoignage de"Cambodge année zéro" fut récusé par une opinion publique désinformée.

 

Ce que fut la vie de l’Église durant les années du génocide, nous le savons surtout par le témoignage des survivants recueillis à la frontière de Thaïlande. Il apparaissait que l’Église du Cambodge avait perdu la moitié de ses fidèles. Tous les prêtres avec leur nouvel évêque, Mgr Joseph Salas, ainsi que Mgr Tep Im, les religieuses et la quasi totalité des catéchistes avaient disparu. Les églises étaient rasées et tous les biens spoliés. Il ne devait rester que 2 ou 3 000 fidèles rescapés de cette tragédie. Mgr Joseph Salas n’avait jamais pris possession de sa cathédrale à Phnom Penh. Sa seule cathédrale fut la rizière où il tomba un jour d’inanition. "La Cathédrale de la rizière" écrit également par le Père Ponchaud en 1990, rassembla tous ces témoignages.

 

4 - Le devoir de fidélité. Création du BPAC

Un grave problème pastoral se posait : qui désormais était responsable de cette Église du silence et de la souffrance, tous ses pasteurs ayant disparu ? Mgr Ramousse qui travaillait en Indonésie, alerta le Vatican à ce sujet. Le 6 janvier 1983 la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples créa le Bureau pour l’Apostolat auprès des Cambodgiens (BPAC) et en confia la direction à Mgr Ramousse.

 

Le Bureau pastoral aurait pour mission de s’occuper des Cambodgiens partout où ils se trouvaient dans le monde : réfugiés dans les camps de Thaïlande ou d’Indonésie, réinstallés dans les pays d’accueil, en Europe, Asie et Amérique, et surtout de tout mettre en œuvre pour retourner au plus tôt au Cambodge. Pour accomplir sa mission, Mgr Ramousse établit un comité d’une dizaine de personnes, pour la plupart anciens missionnaires du Cambodge. Le BPAC fonctionna pendant dix ans, au moyen de deux centres ouverts l’un à Paris et l’autre à Bangkok, tous deux accueillis par la Société des Missions Étrangères.

 

À Bangkok s’organisait le travail pastoral dans les camps de réfugiés, en lien avec l’Église de Thaïlande. Il y eut jusqu’à 500 000 réfugiés. Chaque jour les membres du BPAC partaient dans les camps, porter des secours aux réfugiés, visiter les chrétiens, donner des nouvelles, entretenir l’espérance. De petites communautés chrétiennes furent crées dans chaque camp, et les fidèles, furent formés dans la perspective de leur retour au Cambodge. Ils avaient à prendre en charge eux mêmes la prière, la transmission de la foi, et entraide. Un embryon de grand séminaire fut ouvert avec quelques candidats.

 

Cette activité à la frontière, permettait aussi d’avoir des nouvelles des chrétiens de l’intérieur, et de leur faire parvenir l’eucharistie, avec quelques secours.

 

Le BPAC à Paris, organisait le travail pastoral auprès des réfugiés cambodgiens dans les divers pays de leur installation, notamment en France, aux USA et Canada, en Australie et Nouvelle-Zélande. Il s’agissait d’aider les baptisés à entrer en contact avec les paroisses et les diocèses, susciter des aumôneries dans le cadre de la pastorale des Migrants. Le BPAC s’occupa aussi de soutenir les études des séminaristes venus des camps de réfugiés.

 

La mission principale restait le retour au Cambodge. En février 1989, Mgr Ramousse put retourner au Cambodge pour une visite de trois semaines dans le cadre d’une délégation du Comité Catholique contre la Faim. Il ne put célébrer la messe en public, car la diffusion de la religion chrétienne était encore interdite pour les Cambodgiens.

 

Les chrétiens cambodgiens se réunissaient clan- destinement pour prier ensemble devant la croix pectorale de Mgr Salas mort dans les camps de travaux forcés. L’évêque prit contact discrètement avec les chrétiens de Phnom Penh, et nomma un Comité pastoral de l’Église au Cambodge.

 

C’était une ouverture pleine d’espérance. La même année le BPAC négocia avec Caritas Internationalis l’envoi d’un représentant permanent en la personne du Père Émile Destombes. Peu après les chrétiens cambodgiens obtenaient la permission de célébrer leur culte. Le 14 avril 1990 ce fut la joie et la fête : pour la première fois depuis 15 ans, la communauté chrétienne pouvait célébrer publiquement la messe de Pâques, dans un cinéma de Phnom Penh en présence des officiels du régime. Dès lors le Bureau pastoral devait se déplacer au Cambodge. L’une des dernières initiatives du BPAC fut de provoquer la réunion à Rome sous l’égide de Cor Unum les 27 et 28 avril 1990, d’un forum qui réunissait les diverses ONG catholiques, les sociétés et congrégations religieuses qui travaillaient en lien avec le peuple khmer. Une nouvelle étape de l’histoire de l’Église au Cambodge commençait.

 

5 - Le difficile chemin de la paix des nations

L’histoire connaît parfois des accouchements difficiles. Ce fut le cas du Cambodge qui pour échapper à la main de fer des Khmers rouges était tombé dans le piège vietnamien, et dût faire appel à la communauté internationale pour s’en libérer et retrouver une difficile indépendance. Le conflit entre la République Démocratique du Cambodge et son gouvernement marxiste à Phnom Penh, soutenu par l’armée vietnamienne d’une part, et d’autre part l’opposition nationale quadripartite basée à la frontière thaïlandaise, avec un gouvernement provisoire présidée par Sihanouk et soutenu par le fer de lance des guérilleros khmers rouges, resterait bloqué tant que les grandes puissances n’amélioreraient pas leurs relations.

 

Ce fut la Russie qui donna le signal d’une évolution, dans le discours révisionniste de Gorbatchev à Vladivostock en 1986. Les grandes puissances, Chine, Russie, États-Unis et Asean, commencèrent à faire pression sur leurs protégés pour qu’ils modifient leur ligne politique. Le Vietnam dût organiser le retrait progressif de ses troupes au Cambodge, tandis que le régime de Phnom Penh changeait de nom pour devenir l’État du Cambodge, doté d’une constitution plus libérale. De son côté Sihanouk abandonnait les symboles khmers rouges, créait le Gouvernement national du Cambodge avec l’ancien drapeau du royaume, et s’employait à entamer avec Hun Sen, l’homme fort de Phnom Penh des pourparlers qui durèrent quatre ans.

 

La Conférence internationale de Paris en juillet 1989 rassemblait 19 pays avec le Secrétaire général des Nations-Unies. Ce premier pas aboutit aux Accords de Paris du 21 octobre 1991.

 

On y réglait le conflit au plan international, mais on laissait en suspens les problèmes internes en remettant aux Khmers eux-mêmes le soin de les régler. Le Cambodge fut placé pour deux ans sous la tutelle de l’Autorité Provisoire des Nations-Unies. L’APRONUC (UNTAC en anglais) reçut la quadruple mission de désarmer les factions, rapatrier les 370 000 réfugiés des camps de Thaïlande, préparer des élections libres, et lancer la reconstruction du pays.

 

L’opération la plus ambitieuse jamais entreprise par les Nations-Unies mobilisait 25 000 militaires et civils venus de 31 pays, et coûta près de trois milliards de dollars. L’UNTAC ne remplit pas pleinement son ambitieux programme, mais à son actif il y eut au moins la réussite inespérée des élections libres, et le rapatriement des réfugiés. Le résultat des élections du 23 mai 1993 fut spectaculaire : l’opposition symbolisée par Sihanouk sortait largement vainqueur dans le duel avec le Parti du Peuple Cambodgien de Hun Sen qui détenait tous les pouvoirs depuis 18 ans.

 

Inévitable, la crise éclata entre les élus pour le partage du pouvoir. Pour la régler, Sihanouk inventa une de ces formules dont il avait le secret. Son fils Ranarridh le gagnant des élections, devint premier Premier ministre, et Hun Sen le perdant, devint second Premier ministre. L’Assemblée Nationale put alors voter une nouvelle Constitution, rétablir la monarchie, et appeler Sihanouk à remonter sur le trône. L’ancien roi entra en triomphateur à Phnom Penh le 24 septembre 1994, et inaugura le deuxième royaume du Cambodge.

 

Les Kmers rouges, grands perdants des élections, furent marginalisés. Certains se rallièrent à Phnom Penh et obtinrent une amnistie prestigieuse.

 

Les irréductibles continuèrent dans les zones périphériques des combats sans espoir. Le mouvement implosa dans des luttes intestines. Pol Pot isolé mourut dans la forêt le 15 avril 1998, peut-être assassiné...

 

La transition du régime de la République Populaire du Kampuchea à l’actuel royaume du Cambodge, en passant par l’intermède des Nations-Unies, ne s’est pas faite sans soubresauts. Le drapeau national a été modifié plusieurs fois ; on compte d’innombrables tempêtes politiques.

 

Aujourd’hui Hun Sen l’homme fort du régime tient les rênes du pouvoir et le Roi Sihanouk a assuré la pérennité de la monarchie en cédant son trône à son fils Sihamoni qui règne en sage.

 

VI. Une Église renaît (1990-2005)

1 - Le "synode" de 1991

Le 30 avril 1991 à l’appel du Père Destombes, eut lieu à Phnom Penh pour la première fois depuis 15 ans, un "synode" des communautés chrétiennes. Les responsables des 9 communautés y participèrent sous la présidence de Mgr Ramousse. Leur témoignage dessinait le panorama de l’Église au Cambodge : on comptait 602 familles chrétiennes cambodgiennes soit environ 3 000 baptisés. Dans les camps de réfugiés, il y avait 350 baptisés et autant de catéchumènes adultes.

 

Les catholiques vietnamiens venus s’installer au Cambodge à la faveur de l’occupation vietnamienne étaient au moins dix mille, répartis dans une douzaine de communautés. Considérés comme étrangers, ils avaient la liberté de se réunir pour célébrer leur culte. En 1990, cette liberté fut "octroyée" aux chrétiens khmers, à certaines conditions. Il fallait des autorisations, des listes de présence, des compte rendus et les agents du gouvernement assistaient au culte et à la catéchèse pour en contrôler le contenu.

 

Les chrétiens échappés au génocide de Pol Pot, expliquèrent très clairement dès cette première rencontre, comment ils envisageaient la résurrection de l’Église. "Nous ne voulons pas restaurer l’Église comme avant. Nous voulons une Église pour le Cambodge, au service du peuple cambodgien. Nous voulons une Église fraternelle mêlée à la vie des gens".

 

Le problème des locaux se posait, toutes les églises ayant été détruites et les biens de la mission confisqués. Les participants choisirent de privilégier l’édification des communautés et la formation des baptisés, sur la reconstruction des bâtiments. Chaque communauté fut invitée à organiser trois comités : pour la prière (liturgie), la transmission de la foi (catéchèse) et le service des pauvres (diaconie). Le principe du "synode" annuel des communautés fut retenu comme une institution nécessaire pour la croissance de l’Église.

 

Une forte revendication des fidèles portait sur le visage khmer de l’Église au Cambodge. Les chrétiens avaient beaucoup souffert de se voir reprocher leur adhésion à une religion étrangère et qui le manifestait à l’évidence. L’Église du protectorat n’avait pas fait grand chose dans le sens de l’inculturation, oubliant en cela les recommandations des papes du XVIIe siècle. Aujourd’-hui les catéchumènes cambodgiens ont moins l’impression de devoir changer de planète pour devenir chrétiens. C’est un fait nouveau dans l’histoire de l’Évangélisation au Cambodge de constater l’attrait qu’exerce le message de Jésus Christ sur des mentalités qui jusque-là lui semblaient imperméables.

 

2 - Une Église au service des pauvres

La paix retrouvée se levait sur un paysage de désolation. L’héritage calamiteux des Khmers rouges avait été aggravé par dix ans de guerre civile. Les victimes des innombrables mines semées par les combattants de chaque camp, se comptaient par dizaines de milliers. Tout était à reconstruire, surtout le tissu social gravement endommagé par toutes ces tragédies.

 

Le grand mérite des Nations Unies fut d’avoir su en l'espace de deux ans, proposer et superviser des actions qui engagèrent le Cambodge sur le chemin de la démocratie et du développement. Ces progrès permirent aux Aides Internationales d’ouvrir des programmes de réhabilitation, et aux investisseurs de commencer à tirer l’économie vers le haut.

 

L’Église a toujours été présente à travers ses institutions caritatives, sur les chantiers du Cambodge, alors que le pays gisait exsangue sur le bord de la route des nations. Dans chaque communauté chrétienne, un comité dut répondre avec ses propres ressources à l'entraide de proximité. Pour les programmes plus amples, le service socio-caritatif de l’Église fut assuré outre Caritas Cambodgia, par un large éventail d’ONG catholiques et d'ONG confessionnelles soutenues par leurs Instituts : Maryknoll, jésuites, salésiens et salésiennes, missionnaires de la Charité, PIME, maristes et bien d’autres encore.

 

Il est important de souligner que la majorité de ces mains tendues viennent de l’Asie : Corée, Japon, Hong Kong, Vietnam, Philippines, Indonésie, Thaïlande, Inde. Le Cambodge a cristallisé les dévouements et les bonnes volontés des Églises sœurs du monde entier.

 

Au début il était urgent de distribuer des secours de première nécessité, par la suite ces aides ciblèrent des besoins significatifs pour la reconstruction du Cambodge : formation d’ouvriers spécialisés, réhabilitation des handicapés, accompagnement des malades du Sida, développement rural, alphabétisation, promotion des enfants, etc. Ce fut une belle floraison d’initiatives, de dévouements de toutes sortes, qui donnèrent à l’Église le visage de la compassion.

 

3 - Restructuration de l’Église

Après les terribles épreuves qui avaient duré une trentaine d’années et qui avaient failli l’anéantir, la restructuration de l’Église du Cambodge prit une dizaine d’années. Les deux responsables khmers disparus au temps de Pol Pot, avec tous les prêtres du pays, manquaient cruellement pour engager cette résurrection. Les quatre séminaristes formés dans les camps, puis à Battambang et à Phnom Penh ne furent ordonnés prêtres qu’en 2001. Ce fut une bénédiction d’accueillir des prêtres, des religieux et religieuses venus d’Asie, d’Europe et d’ Amérique. Il était toutefois inévitable de confier de nouveau à des étrangers la direction des Églises locales.

 

Dans un premier temps, le prince Sihanouk, chef de l’État, qui avait toujours manifesté de bonnes relations avec l’Église catholique, reconnut Mgr Ramousse comme responsable de l’Église au Cambodge.

 

Dans la foulée, en juillet 1992, Rome renommait Mgr Ramousse vicaire apostolique de Phnom Penh.

 

Puis le 25 mars 1994, le Vatican et l’État du Cambodge nouèrent pour la première fois de leur histoire, des relations diplomatiques, qui permirent de reconnaître un statut à l’église catholique.

 

C’était un progrès considérable si l’on tient compte du fait que cinq ans plus tôt la religion catholique était encore bannie au Cambodge.

 

Les trois anciennes circonscriptions ecclésiastiques furent d’abord administrées de manière unitaire par une petite équipe de missionnaires autour de Mgr Ramousse et Mgr Lesouëf. Leurs efforts concertés aboutirent en 1996, à l’adoption d’un plan pastoral pour la reconstruction de l’Église et l’évangélisation. Le temps était venu de donner à chaque église locale sa stature propre ainsi que de nouveaux titulaires.

 

En 1997 le père Émile Destombes qui avait eu un rôle clef dans la résurrection de l’Église au Cambodge, devenait coadjuteur du vicaire apostolique, et quatre ans plus tard vicaire apostolique de Phnom Penh à la suite de Mgr Ramousse.

 

En 1997, Mgr Susairaj Antonysamy, des Missions Étrangères de Paris, administrait la préfecture avec Mgr Lesouëf. En l’an 2000 il devenait préfet apostolique de Kompong Cham, tandis qu'un père jésuite, Mgr Enrique Figaredo devenait préfet apostolique de Battambang.

 

La Conférence des Évêques du Laos et du Cambodge fut rétablie. Elle n'existait plus depuis vingt ans en raison des évènements qui avaient isolé les deux pays et ravagé leurs Églises. La première réunion de la CELAC retrouvée eut lieu en 1995 à Bangkok. Cinq évêques étaient présents, Mgr Ramousse en devint le président.

 

Les responsables des Églises du Cambodge et du Laos qui avaient si cruellement souffert, furent reçus par le pape en février 1999. Le Saint-Père délivra aux évêques un message fort, les encourageant à avancer avec courage sur les voies de l’avenir.

 

"N’oubliez jamais

le témoignage de vos martyrs…

soyez les témoins de l’espérance…

soyez proches de ceux qui souffrent…

associez vos prêtres

à la direction de vos Églises....

ayez le souci des vocations…

maintenez éveillée la conscience ecclésiale…

aidez les familles

à être au service du bien commun

de l’Église et de la société…

proclamez l’Évangile

dans la culture de vos peuples…"

 

VII. An 2006 : Une Église se penche sur son histoire

Au mois de juillet 2006 s’est ouvert à Phnom Penh, le 23ème "synode" des communautés. Pendant quatre jours, 150 délégués venus des 84 communautés ecclésiales du pays, se sont penchés sur l’histoire de leur Église. Quatre cent cinquante ans d’histoire, c’est impressionnant et déroutant eu égard à la modicité des résultats obtenus, puisque aujourd’hui les catholiques sont à peine un pour cent de la population. L’histoire est pathétique des difficultés incroyables qu’ont rencontrées les porteurs d’Évangile pour rejoindre le peuple vers lequel ils étaient envoyés.

 

L’histoire de la mission du Cambodge c'est d’abord celle de l’instabilité et de la précarité qui ont régné dans ces régions pendant trois siècles. C’est aussi l’histoire d’un rendez-vous culturel largement manqué avec le bouddhisme qui imprègne toute la vie personnelle et sociale des Cambodgiens. Le dialogue avec les religions et les croyances déjà prôné par les Monita aux missionnaires dès le XVIIe siècle, a mis du temps à s’instaurer. L’infortune de la mission auprès des Cambodgiens tient peut-être encore plus au faitqu’elle a toujours été envisagée dans le cadre de la Cochinchine. Dans un grand ensemble pastoral à géométrie variable, qui englobait l’Annam, la Basse-Cochinchine et le Cambodge, le pays des Khmers sous-peuplé, pratiquant une religion et une langue différentes des Cochinchinois, avait toutes les chances d’être traité comme une annexe dans l’entreprise missionnaire.

 

De fait l’Église se développait surtout dans les provinces de Cochinchine, et même au Cambodge, principalement en faveur des migrants vietnamiens. Durant la "pax gallica" un redressement de cette situation aurait pu être initié. Cette opportunité n’a pas été saisie. L’assemblée du 23ème synode a fait un constat plein d’espérance : jamais dans toute son histoire, l’Église du Cambodge n’avait eu une identité locale aussi manifeste qu’aujourd’hui. Il n’y a jamais eu autant de communautés proprement khmères, et elles sont issues du témoignage évangélique.

 

Assurément la majorité des chrétiens est encore étrangère, mais la mission au Cambodge n’est plus regardée à travers le prisme de cette présence.

 

Aujourd’hui tous les missionnaires étrangers prêtres, religieuses ou laïcs, parlent la langue du pays. Le khmer est la langue des réunions et celle de la liturgie. L’Église du Cambodge dispose de nouveaux moyens inédits édités en khmer pour annoncer efficacement le royaume : la Bible oecuménique et des commentaires bibliques, des livres liturgiques et des parcours catéchétiques, l’histoire de l’Église, des traductions théologiques, une revue mensuelle et des émissions radios. Les églises ne sont plus des monuments à la gloire de l’art occidental, mais se construisent avec une recherche de style cambodgien.

 

Le pays est en pleine mutation. Le Cambodge rural se couvre d’usines : des centaines de milliers d’ouvrières travaillent dans les ateliers de confection. Le tourisme change considérablement les mentalités. L’avenir des jeunes (60% de la population a moins de 24 ans) est plein d’incertitude. Ces nouveaux défis sont les horizons pastoraux de la mission aujourd’hui. Un objectif reste hautement prioritaire, celui de la mission à ses débuts : la formation du clergé diocésain et la promotion d’un laïcat chrétien, afin que l’Église du Cambodge puisse atteindre sa maturité, prendre en mains son propre destin et apporter de l’aide aux autres Églises.

 

Mgr Yves Ramousse, Vicaire apostolique de Phnom Penh (1962-1976 puis 1992-2001)