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JDD | Au Cambodge, la jeunesse sans espoir

Par Louise Audibert, correspondante à Phnom Penh (Cambodge)

 

Dimanche au Cambodge, les électeurs renouvelleront leurs députés dans un pays où les moins de 30 ans ne trouvent pas leur place.

Dans un quartier en construction de Diamond Island, île du sud de Phnom Penh, où la jeunesse vient se détendre le soir. (Benjamin Filarski)
Dans un quartier en construction de Diamond Island, île du sud de Phnom Penh, où la jeunesse vient se détendre le soir. (Benjamin Filarski)

Phnom Penh, un samedi soir. A la tombée de la nuit, comme tous les week-ends, les routes de la capitale cambodgienne sont congestionnées. Scooters, tuk-tuk et marchands de nourriture ambulants se frôlent. Notamment aux abords du Mékong, en direction d'une ­petite île du sud de la ville, Diamond Island. La jeunesse cambodgienne s'y presse pour profiter de l'énorme fête foraine, des concerts en plein air et des terrasses récemment ouvertes. En bande, en couple, les 20-30 ans issus de la classe moyenne prennent d'assaut les attractions. Et entre deux selfies, ils profitent de l'ambiance festive propre à l'îlot.

 

A quelques centaines de mètres de là, dans le quartier BKK, jouxtant le monument de l'Indépendance, des moteurs vrombissent dans une allée privée. Dans une maison style Art déco construite au milieu d'un jardin verdoyant, comme tous les samedis aussi, une réunion de jeunes se termine, organisée par le think tank Politikoffee. Chaque semaine, des personnalités influentes de la scène politique sont invitées pour débattre d'environnement, d'économie, de social. Ce jour-là, la conversation a tourné autour de la notion d'élections libres et équitables, et du comité chargé d'organiser le vote.

La principale formation d'opposition a été dissoute

Noan Sereiboth, étudiant en sociologie et en économie, originaire de la province rurale de Kampong Cham, a assisté à la rencontre. Sur sa page Facebook, il affirme "consacrer sa vie à servir son pays". "J'espère qu'on aura bientôt un nouveau dirigeant qui développera le pays pour qu'il ­devienne plus prospère, explique le jeune homme. Mais d'ici là, nous, les jeunes, n'avons d'autre solution que de garder le silence et rester en retrait des tensions politiques."

Dans une semaine, dimanche 29 juillet, le Cambodge se rend aux urnes pour renouveler ses parlementaires. La réélection du Parti du peuple cambodgien (CPP) de Hun Sen, à la tête du gouvernement depuis trente-trois ans, est en très bonne voie. La principale formation d'opposition a été dissoute en novembre. Depuis quelques mois, la presse cambodgienne est sous pression : fermeture du Cambodia Daily, rachat du Phnom Penh Post par le parti au pouvoir et arrestations de journalistes indépendants.

 

"Outre la censure qu'elles critiquent, beaucoup de personnes sont persuadées que le Parti du peuple cambodgien contrôle le ­comité national des élections et n'ont pas confiance dans le déroulement du vote", explique encore Noan ­Sereiboth. "Les jeunes ont de plus en plus conscience de subir la corruption", ajoute un autre. Dans ce pays de 15 millions d'habitants, 30% de la population a moins de 30 ans.

Les jeunes attirés vers la Thaïlande

Mais, vingt ans après la fin de la guerre et quarante ans après celle du régime sanguinaire des Khmers rouges qui a provoqué la mort d'un tiers de la population, la société porte encore des séquelles. Les anciens ont trop souffert et certains affirment même préférer dictateurs et tyrans plutôt que de revivre la guerre. "La génération de nos parents est souvent sur la défensive, traumatisée, tente d'expliquer Vearyda, étudiant en communication et journalisme. Beaucoup réagissent encore avec des instincts de survie. Ils sont rarement ouverts à la discussion sur des sujets sensibles comme la politique ou la corruption. Pas nous."

 

Le jeune homme poursuit : "La majorité des jeunes Cambodgiens a un accès limité, quand elle en a un, à une éducation de qualité. Ils ne trouvent que des emplois peu rémunérés dans le textile et le bâtiment. Ou ils émigrent vers les pays voisins." Un flux migratoire que des politiques tentent d'endiguer comme Mu Sochua, ancienne sénatrice membre du Parti pour le sauvetage du Cambodge (CNRP), formation d'opposition dissoute en novembre. En 2015, pendant une de ses campagnes électorales, elle martelait aux jeunes de ne pas tomber dans le piège des recruteurs thaïlandais. Mais malgré ses avertissements réitérés, trois ans plus tard, le travail et la rémunération plus attractive continuent d'attirer les jeunes vers la Thaïlande.

 

Cette réalité exaspère Meng. Originaire d'un petit village de la région frontalière du royaume de Siam, la fille de paysans pauvres en a vu beaucoup autour d'elle abandonner l'école pour quitter le pays. "Je trouve frustrant d'être jeune ici, raconte cette étudiante en communication. Si on n'est pas né avec une cuillère d'argent dans la bouche, il faut sans arrêt se battre pour être quelqu'un de bien et d'utile à la société. C'est déprimant." Elle marque un temps d'arrêt. Ce que Meng ne dit pas mais que l'on comprend, c'est que c'est encore plus difficile lorsque l'on naît fille. Cette jeune femme a eu la chance d'être aidée par une ONG pour financer ses études à Phnom Penh. Et d'avoir des parents qui l'ont soutenue dans sa volonté de poursuivre sa scolarité, sans faire de son mariage une priorité.

 

"Etre jeune au Cambodge est à la fois une opportunité et un obstacle, poursuit Vearyda, l'étudiant en journalisme. Le pays a besoin de jeunes ressources humaines dans tous les secteurs, des arts à la technologie en passant les sciences, mais peu d'entre nous font partie de ceux qui prennent les décisions pour l'avenir."

 

Ce qui agace Hang Vitou. Âgé de 24 ans, il est l'un des derniers commentateurs politiques du pays. Au Cambodge, la liberté d'expression est menacée, surtout depuis l'assassinat il y a deux ans du docteur Kem Ley, éminent analyste politique. Rencontré dans un centre commercial loin du centre-ville de Phnom Penh, Hang Vitou se dit conscient du risque qu'il encourt. Mais il continue de parler librement de tous les sujets : "Le Premier ­ministre est intelligent, c'est comme ça qu'il est arrivé à rester au pouvoir pendant toutes ces années." A l'approche des législatives, Hun Sen fait planer la menace d'une nouvelle guerre civile. "Les jeunes ont besoin d'un changement positif et pacifique pour enrichir et s'engager dans leur pays, affirme Hang Vitou. Le manque d'opportunités professionnelles les pousse aujourd'hui à s'intéresser à la politique. Quand le CPP et le Premier ministre quitteront le pouvoir, le Cambodge connaîtra peut-être enfin la prospérité. D'ici à une dizaine d'années, j'espère."