Homélie de Mgr Olivier Schmitthaeusler, Vicaire apostolique de Phnom Penh, le 28 février 2021

Le premier dimanche après le décès de Mgr Ramousse, Mgr Olivier Schmitthaeusler, Vicaire apostolique de Phnom Penh, s'est rendu au Mémorial des Martyrs du Cambodge, à Tangkok, pour y célébrer une messe de requiem à l'intention de son prédécesseur. Voilà l'homélie qu'il a prononcée ce jour-là.

 

MESSE DE REQUIEM

Monseigneur YVES RAMOUSSE

23 Février 1928 – 25 Février 2021

 

Vicaire Apostolique de Phnom Penh

1963-1976 / 1992-2001

Dimanche 28 Février 2021

Deuxième Dimanche de Carême

TANGKOK

 

Monseigneur Yves ! Vous avez « fêté » votre 93ème anniversaire le 23 février et votre 58ème anniversaire le 24 février dernier dans le silence de l’hôpital, votre corps enfermé dans un coma profond à cause de ce COVID 19 qui a déjà tué dans le monde en une année 2 497 406 personnes. Ironie du sort, c’est le nombre estimé de morts durant le régime Khmer Rouge !

 

Ce 25 février vers 1 h 30 du matin (en France), vous vous êtes réveillé auprès de Celui que vous avez aimé et servi de tout votre cœur durant vos soixante-huit ans de sacerdoce, dont cinquante-huit d’épiscopat !

 

Ce malin petit virus vous a vaincu, cher Monseigneur Ramousse, alors que votre vie qui a vu tant de morts et tant de résurrections semblait insubmersible.

 

Combien de fois ce texte de la Transfiguration que nous venons d’entendre a dû raisonner dans votre vie ?

 

Combien de fois êtes-vous monté sur la montagne avec Jésus. Alors que vous deviez vous sentir si bien, vous avez dû redescendre dans la plaine des incompréhensions, des incertitudes, des départs, des morts, des cendres en vous demandant comme les disciples : « Mais que peut signifier la résurrection d’entre les morts ? »

 

Cher Frères et Sœurs,

 

Ce matin, ici même à Tangkauk, devant la Croix des Martyrs pensée et dessinée par Mgr Yves pour la célébration des martyrs voulu par saint Jean-Paul II le 7 mai 2000, ici même où Mgr Ramousse est venu célébrer sur ce lit où Mgr Chhmar Salas a célébré l’Eucharistie jusqu’à en mourir, la veille de son départ pour la France le 5 octobre 2013, nous faisons mémoire de ce pasteur selon le Cœur de Dieu qui a été donné à l’Eglise du Cambodge.

 

Comme un petit-fils parlant à son grand-père, permettez-moi d’évoquer la vie de Mgr Ramousse en m’adressant directement à lui. Son histoire s’inscrit d’une manière extraordinaire dans la grande Histoire de l’Eglise et du monde, du Cambodge et de son Eglise que nous connaissons aujourd’hui. Vous êtes beaucoup de cette nouvelle

génération de chrétiens et de missionnaires à ne pas avoir connu Mgr Ramousse, mais l’Eglise du Cambodge, qui est votre famille aujourd’hui, est le fruit merveilleux de la vie donnée de Mgr Ramousse.

 

Cher Yves,

 

En relisant votre histoire, en me remémorant votre visage, en me rappelant vos paroles, vous avez été une oreille si attentive pour moi, jeune missionnaire puis jeune évêque, et c’est votre sourire et votre rire qui m’éblouissent à nouveau.

 

Votre décès nous a été annoncé alors que la pleine lune se levait, blanche, brillante, éclatante comme Jésus sur la Montagne de la Transfiguration … Et l’espace d’un instant, j’ai vu votre visage se confondre avec les visages au sourire mystérieux des tours du Temple du Bayon. Ce sourire qui s’inscrit sur chacune des quatre faces : la Joie, la Charité, la Compassion et la Souffrance. C’est votre vie, Monseigneur !

 

Quelle fierté et quelle admiration dans mon cœur d’évêque, benjamin au Synode pour la Nouvelle Évangélisation, lorsque je vous ai vu arriver dans la Basilique Saint- Pierre le 22 octobre 2012, invité par le Saint Père Benoît XVI pour fêter le 50ème anniversaire du concile Vatican II. Vous étiez parmi les 12 survivants !

 

Si jeune évêque, à tout juste trente-cinq ans, vous avez vécu trois sessions du concile Vatican II ! Quelle grâce pour l’Eglise Cambodge d’avoir eu, à ce moment précis de l’histoire, un si jeune pasteur enthousiaste et créatif pour commencer à appliquer les grandes orientations conciliaires in situ. La langue cambodgienne est ainsi devenue la priorité pour la liturgie, la catéchèse et la Bible ; le dialogue interreligieux avec le bouddhisme en particulier est devenu réalité ; l’inculturation d’une Eglise vue comme si étrangère a vu ses premiers balbutiement grâce à vos efforts ; la nouvelle réalité des conférences épiscopales a pu être mise en place grâce à votre heureuse initiative de rapprocher le Cambodge et le Laos en une seule conférence : la CELAC ; une Eglise plus proche de son peuple a pu s’épanouir grâce à la division du Vicariat Apostolique du Cambodge en trois circonscriptions : Phnom Penh, Battambang et Kompong Cham ; la formation d’un clergé local avec un grand séminaire fondé sur l’île de Chroychangva et la joie des premières ordinations : les Pères Salas, Salem, Chomraoen.

 

Moins malicieux que le Covid 19, mais plus cruel que tout, l’année 1970 voit le début de la guerre civile, l’émergence des forces de résistance khmers rouges, les bombes déversées par l’armée américaine sur le Cambodge. Le départ de tous les Vietnamiens pour leur pays d’origine avec des sœurs et de nombreux missionnaires, l’organisation de Caritas avec le Père Emile, la petite communauté khmère autour de vous, la cathédrale pour ainsi dire fermée, votre évêché de moins moins en sécurité sur le grand Boulevard Monivong.

 

C’est alors que survient ce grand moment de votre vie qui vous a marqué à jamais : CHOISIR DE RESTER OU DE PARTIR.

Je vous ai vu pleurer en silence en regardant le film Des Hommes et des Dieux

lorsque les moines de Thiberine ont fait le choix de rester.

 

Vous avez fait le choix de rester. Vous avez fait le choix d’appeler le P. Salas pour l’ordonner discrètement sous les tirs de roquettes, et pour assurer une succession apostolique dans notre Eglise.

 

Quelle torture spirituelle, morale et humaine de voir ceux que vous avez aimés, votre peuple, partir sur les routes poussiéreuses de l’exil, les œuvres caritatives et éducatives fermer et plus tard votre cathédrale et pour ainsi dire toutes les églises et chapelles partir en fumée.

 

Quelle torpeur quand vous avez traversé le Cambodge vers la Thaïlande dans ces derniers camions qui expulsaient les étrangers. Trop de douleur. Trop de souffrance pour un pasteur selon le Cœur de Dieu. Comme Abraham dans la première lecture de ce matin, vous portiez le poids du sacrifice de ceux que vous aimiez, de vos fils et de vos filles désormais habillés de noir, mais habités par la foi que vous aviez semée et annoncée laissant une petite lumière d’Espérance briller.

 

C’est cette Eglise que avez dû quitter non par choix mais par force.

 

L’Indonésie, le Bureau pour l’Apostolat des Cambodgiens à travers le monde, sans crosse ni mitre, vous êtes revenu avec le CCFD en 1989. Une petite porte s’ouvrait.

 

Espérer contre toute espérance. Dieu comble toujours son serviteur. Abraham l’a vécu, vous l’avez vécu dans votre cœur et dans votre chair.

 

Quelle émotion, quelle action de grâce quand vous avez pu rencontrer quelques chrétiens dans un petit restaurant en 1989 … à l’image de Mgr Salas qui continuait à célébrer clandestinement les saints mystères. Quelle joie pour les chrétiens de pouvoir toucher et baiser votre anneau - ce signe de fidélité : la vôtre, la leur et surtout celle de Dieu Lui-même.

 

Quel courage pour revenir et reconstruire.

 

Quand vous avez été re-nommé en 1992 Vicaire Apostolique de Phnom Penh et Administrateur Apostolique de Battambang, vous n’avez pas ménagé vos efforts pour rassembler, reconstruire les cœurs, acheter de nouveaux terrains, faciliter les négociations pour l’établissement de relations diplomatiques avec le Saint-Siège (1994), faire reconnaître les statuts de l’Eglise catholique (1997), accueillir de nouvelles congrégations missionnaires : TMS, PIME, Yarumal, Jésuites, Don Bosco, FMA, DC, MC, Dominicaines … accueillir les anciens : MEP, Providence, Claire Amitié.

 

Dans votre jeep, alors que vous souffriez de rhumatismes qui vous empêchaient de dormir dans un lit, mais toujours avec le sourire, vous avez sillonné sans lassitude le Cambodge sur ces routes détruites, de Phnom Penh à Battambang, de Chomnoam à Sisophon où vous m’avez déposé en 1999… de Poipet à Siem Reap, de Kompong Thom à Sihanoukville.

 

Pasteur humble au milieu de son petit peuple.

Pasteur minutieux et soigneux de tout préparer à la perfection – liturgie, homélies, lettres, discours – avec votre petite écriture si caractéristique d’un serviteur zélé et dévoué.

Pasteur visionnaire et attentif à tous, vous avez préparé la nouvelle Eglise du Cambodge avec tant de soin et assuré la succession avec tant d’ordre et de précision.

Pasteur accueillant et aimant, comme il était bon d’aller à Sihanoukville quand vous vous y êtes retiré en 2001 : chrétiens, retraites des prêtres, CELAC, réunions diverses. Vous veilliez à tout.

 

« Dieu est Celui qui rend juste », nous dit Saint Paul dans sa lettre aux Romains.

 

Monseigneur Yves, Dieu vous a rendu juste.

 

Nous en sommes témoins.

 

Priez pour nous !

Priez pour moi !

Priez depuis le Ciel pour l’Eglise du Cambodge afin que nous soyons dignes de la servir et de chercher le Royaume de Dieu sur cette terre des dieux.

 

Joie, Charité, Compassion, Souffrance étaient mêlées à votre sourire.

 

Souriez, riez encore et encore en nous regardant depuis le Ciel, afin que nous aussi, nous laissions façonner notre visage et notre cœur à l’image de Dieu.

 

Monseigneur Yves, soyez en Paix pour l’éternité et saluez nos frères et sœurs dans la foi, Mgr Chmar Salas, ses compagnons et tous les autres.

 

« Bon ... » c’était votre petit mot quand les déjeuners s’éternisaient à l’évêché pour que nous nous levions de table.

 

Dans le silence de ce 25 février, certainement que Dieu vous a susurré : « Bon ». A l’image de votre vie, vous avez alors répondu dans un dernier souffle : « ME VOICI SEIGNEUR ! ».

 

À DIEU.

 

+ OLIVIER SCHMITTHAEUSLER

Vicaire Apostolique de Phnom Penh

CAMBODGE