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#148 Lundi 06/09/2021

En traversant le Mékong, vue sur la presqu'île de Chrui Changvar, et un des bacs qui permettent la traversée...
En traversant le Mékong, vue sur la presqu'île de Chrui Changvar, et un des bacs qui permettent la traversée...

Chers amis,

 

J'aurais pu vous mettre en tête de cet article une photo des nouvelles baptisées de samedi dernier, à Areyksat, mais je ne voudrais pas vous lasser ! 😀 Je vous partage aujourd'hui cette photo prise hier au cours de ma traversée du Mékong... les ciels de saison des pluies sont vraiment extraordinaires ! Vous avez sur cette photo l'un des bacs qui font la traversée entre la ville de Phnom Penh (rive droite) et le village d'Areyksat (rive gauche), toute la journée, pour permettre aux personnes et aux marchandises de transiter, dans un sens comme dans l'autre : les travailleurs et les élèves qui habitent côté Areyksat et qui vont à Phnom Penh pour leur travail ou leurs études, les fruits et légumes de la campagne qui traversent le fleuve pour aller approvisionner les marchés de la ville, les biens et marchandises achetés à Phnom Penh et qui traversent pour approvisionner les marchés, chantiers de construction... de la rive gauche... La construction de plusieurs ponts est "dans les tuyaux", mais on ne sait pas encore vraiment à quelle échéance. Un premier pont semble acté, et il sera construit avec l'aide technique et financière de la Corée du Sud. Il devrait rejoindre la presqu'île de Chrui Changvar (dont vous voyez la pointe sur la photo) et le village de Svay Chrum, sur la rive gauche du Mékong. Mais sera-t-il construit avant 10 ans...? En attendant, la spéculation immobilière va bon train sur la rive gauche du Mékong, dans l'espoir d'un développement accéléré de la zone. La valeur d'un terrain acheté aujourd'hui sur ces zone pourra facilement être multipliée par dix après la construction du pont...

 

Démarches administratives...

Quelque chose de très surprenant pour un prêtre français est la façon dont la liberté religieuse est organisée au Cambodge. En effet, si l'État français nous demandait des listes nominatives de fidèles, accompagnées de leur numéro de carte d'identité et de leur emprunte digitale, et ce tous les deux ans, je n'imagine pas la levée de boucliers et les manifs ! Ici, c'est comme ça que ça marche : pour continuer à avoir des célébrations dans nos églises, nous devons demander une autorisation tous les deux ans ! Dans le dossier à fournir, il faut donner l'organigramme de la paroisse : le(la) président(e) du comité paroissial (qui n'est pas le prêtre), le prêtre référent, le(la) responsable du comité de liturgie, le(la) responsable du comité de charité, le(la) responsable du groupe des jeunes et le(la) responsable de la catéchèse. Il faut aussi remplir une liste des fidèles qui fréquentent le lieu de culte. Pour l'ouverture officielle d'un nouveau lieu de culte, il faut 25 personnes, et pour le renouvellement de l'autorisation d'un lieu de culte existant, il faut 50 personnes. Chaque personne doit indiquer son nom, son âge, son sexe, son numéro de carte d'identité ou de carte d'immigration, et apposer son emprunte digitale... Les fidèles des différentes religions sont donc tous fichés par l'État cambodgien... on sent bien l'héritage communiste dans ce genre de pratiques... car quelle utilité sinon la volonté de contrôler les religions ?

 

Donc officiellement le Cambodge respecte la liberté religieuse, mais si vous ne remplissez pas ces formulaires tous les trois ans, vous n'avez pas la liberté d'avoir un lieu de culte et de pratiquer votre religion... c'est donc une liberté très contrôlée. Dans ce domaine comme d'en beaucoup d'autres, le Cambodge entretient une multitude de démarches administratives plus compliquées les unes que les autres, avec un millefeuille administratif et territorial qui n'a rien à envier au millefeuille français (c'est d'ailleurs peut-être de la France que le Cambodge a hérité cela...?) dont on se demande parfois si le seul but n'est pas de faire vivre les employés de l'administration (sans compter que cela permet de multiples occasions de graissages de pattes... il faut mettre de l'huile dans les rouages administratifs...).

 

Avec François Ponchaud et le P. Chatsirei, tout à l'heure.
Avec François Ponchaud et le P. Chatsirei, tout à l'heure.

P. François Ponchaud

Nous avons appris il y a une douzaine de jours une nouvelle inquiétante : le P. François Ponchaud, doyen de la mission catholique du Cambodge, a fait un nouvel AVC (le 3e). Il a été hospitalisé pendant presque deux semaines, et nous étions tous très inquiets sur les conséquence de ce nouvel accident cérébral. À 82 ans, le P. Ponchaud est un homme qui ne s'est jamais vraiment économisé, mais il semble avoir surmonté cette nouvelle épreuve sans trop de séquelles. Tout à l'heure je suis allé lui rendre visite, avec le P. Chatsirei. Occasion de voir comment il allait, de lui apporter du courrier et des livres. Il semble en bonne forme, comme un homme de son âge, et j'ai été agréablement surpris de voir comment il va. La conversation en khmer et en français a été chaleureuse et pleine d'humour, comme souvent avec lui. Il est très reconnaissant pour ceux qui ont pris soin de lui, qui ont décidé très vite de l'amener à Phnom Penh, alors qu'il était en province : ils lui ont sans doute sauvé la vie. Il reconnaît lui-même que ça a été un coup très dur et qu'il a besoin de beaucoup se reposer, car il se fatigue très vite.  C'est pourquoi il ne souhaite pas avoir de visites.

 

Il est actuellement le dernier prêtre au Cambodge a avoir exercé son ministère avant la période des Khmers rouges, puisqu'il est arrivé pour la première fois au Cambodge en 1965. À ma connaissance, en plus de lui, il reste deux prêtres ayant connu le Cambodge "d'avant" : le P. Simon, moine de l'Abbaye de Landévennec, ancien du monastère de Kep, et le P. Bernard Berger, du diocèse de St Denis, qui a été prêtre fidei donum au Cambodge, et curé de la cathédrale, dans les années 1970. Le P. François Ponchaud est un grand spécialiste de la langue khmère, c'est aussi un bibliste, qui a été le principal contributeur de la traduction de la Bible en khmer, actuellement en usage dans les églises du Cambodge. Il a été connu du grand public par la publication de son livre "Cambodge Année Zéro" en 1977, qui a été le premier livre à témoigner de la réalité de ce qu'était le régime communiste génocidaire des Khmers rouges. Toute sa vie, et encore jusqu'à maintenant, il s'est attaché à traduire des ouvrages de référence, à composer des commentaires bibliques, à chercher les traductions les plus justes, pour aider les Cambodgiens à nourrir leur foi. Je le revois encore, il y a quelques mois, écoutant la proclamation de l'Évangile (dont il a assuré la traduction) pendant la messe, et marmonnant : "non, c'est pas ça, c'est pas ce mot là, il faudrait le traduire autrement..." ! À 82 ans !

 

Activités pastorales

Du côté de la vie paroissiale, j'ai terminé cette semaine la préparation au mariage de deux couples. L'un devrait se marier en janvier 2022, et l'autre devra attendre novembre 2022, puisque la future mariée aura alors 18 ans... Cela lui donnera aussi le temps de commencer une démarche de catéchuménat avec la Sr Anne-Lucie. Nous verrons bien ce que cela donnera. Dans la foulée, j'ai commencé un nouveau parcours de préparation au mariage avec deux nouveaux couples.

 

Jeudi, j'ai découvert un nouveau "borey" qui est construit à proximité d'Areyksat. Au Cambodge, les boreys sont des sortes de lotissements qui ont beaucoup de succès depuis quelques années : des promoteurs construisent ces sortes de villages, avec des maisons toutes identiques les unes à côté des autres. C'est plus ou moins réussi, mais pour un certains nombre de Cambodgiens, cela permet d'accéder à des logements modernes et propres, à un prix relativement accessible pour la classe moyenne, mais au prix parfois d'un lourd endettement. Généralement, c'est boreys sont aussi entourés d'un mur, surmontés parfois de barbelés du plus bel effet, et l'entrée est gardée 24h/24 : pour pouvoir y entrer quand on n'est pas résident, il faut dire au gardien qui ont va voir, et dans quelle maison. Je suis allé dans ce borey à la demande d'une famille pour porter la communion et le sacrement des malades à deux personnes de la même famille, une mère et son fils. Ce sont des anciens paroissiens de St Joseph, à Phnom Penh, qui vivent désormais dans cette maison en périphérie de la ville. J'avais connu la maman pendant ma coopération, à l'époque elle était très engagée et faisait partie du comité de liturgie de la paroisse St Joseph, qui était la seule paroisse de la ville. Cela m'a fait un choc de la voir dans ces circonstances, par rapport aux souvenirs que j'avais d'elle, mais il faut bien me rendre à l'évidence : entre ma coopération et aujourd'hui, 24 années se sont écoulées ! Et tout le monde vieillit, moi y compris : les gens que j'ai connu à l'époque qui avaient la cinquantaine approchent aujourd'hui des 80 ans. Quand je terminerai ma mission ici, j'aurai 50 ans... La vieillesse est beaucoup plus dure au Cambodge qu'en France, notamment en raison des conditions de vie, du climat et de la moindre accessibilité des offres de soin. A contrario, les personnes âgées sont généralement prises en charge par l'un de leurs enfants, à son domicile, et sont très entourées et respectées. Elles ont la joie de vivre au milieu de leur famille, avec leurs enfants et petits-enfants, et parfois arrières-petits-enfants !

 

Samedi, j'ai donc célébré les baptêmes de deux cousines nées toutes les deux l'an dernier. L'un des papas, non chrétien, n'était pas là car il travaille tous les jours. Nous avons fait les baptêmes avec les deux mamans, l'un des papas, et la marraine des deux petites (la même marraine pour les deux), et elles s'appellent donc toutes les deux... Marie ! Comme je l'ai déjà expliqué je crois, le prénom chrétien donné au baptême est généralement le prénom du parrain (pour les garçon) ou de la marraine (pour les filles). La plupart du temps, les nouveaux baptisés ont seulement un parrain ou une marraine. Nous avons donc une très faible variété de prénoms chez nos chrétiens : Marie, Pierre, Paul, Thérèse, Marthe, Anne, Jean, Jean-Baptiste, François,... Dans la vie quotidienne, ce n'est pas gênant, car le prénom chrétien n'est généralement pas le prénom d'usage. Le prénom du saint patron est quasiment uniquement utilisé à l'occasion de la célébration des sacrements.

 

Concernant la reprise de la catéchèse à Po Thom et Kdey Kandal, les inscriptions sont lancées ! Pendant ce mois de septembre Sr Anne-Lucie va prendre les inscriptions et nous commencerons les séances en octobre. Hier nous avons eu déjà 16 inscriptions, majoritairement pour les enfants qui doivent se préparer à la première communion. Joie ! Après la messe, la sœur a pris les inscriptions pendant que j'allais de mon côté bénir la maison d'une famille chrétienne de Kdey Kandal, occasion aussi de prendre un peu de temps gratuitement avec cette famille et les jeunes qui m'ont accompagné pour prier avec la famille. L'une des jeunes de cette famille est très active et rend beaucoup de services pour l'animation de la vie paroissiale.

 

Du côté de la communauté francophone, nous reprendrons les messes tous les 15 jours le samedi à 18h15 à partir du samedi 11 septembre prochain. J'espère pouvoir relancer un groupe de caté, peut-être un groupe d'aumônerie pour les collégiens, et aussi un groupe de type "jeunes professionnels" à destination des jeunes francophones qui viennent ici vivre un temps de coopération ou de volontariat. On verra ce qui sera possible...

 

Concernant l'épidémie de Covid 19

Après un plus bas dans le nombre de cas actifs atteint le 24 août dernier, où le Cambodge était repassé sous la barre des 2000 cas, nous assistons ces derniers jours à une lente remontée du nombre des cas de Covid 19 dans le pays, sans doute liée à la diffusion du variant Delta. Le nombre de décès est d'environ 10 par jours, alors que nous avons eu toute une période où nous avions une vingtaine de décès chaque jours.

 

C'est dans ce contexte que le Premier ministre a décidé de mettre fin aux grandes mesures de restriction nationales pour que les mesures soient désormais prises au niveau des provinces, plus près des réalités du terrain. En effet, la situation est très différente si l'on se trouve à Phnom Penh ou dans les régions plus isolées du Mondolkiri. Nous voyons aussi la mise en place progressive de différents protocoles, notamment pour la réouverture des écoles... Cela reste encore très flou, mais il y a comme un frémissement : nous verrons bien. En attendant, la campagne de vaccination se poursuit, seule solution à la crise actuelle pour espérer un retour à une vie presque normale, ou plutôt selon une "nouvelle normalité" ("new normal" comme disent les anglophones).

 

Concernant les chiffres, voilà où nous en sommes au 5 septembre :

  • nouveaux cas détectés ce jour : 528 (total de cas cumulés : 95.828) et 3.212 nouveaux cas en une semaine
  • nouveaux décès : 13 (total de décès : 1.970) et 78 nouveaux décès cette semaine
  • nouveaux guéris : 447 (total des guéris : 91.131) et 2.688 nouveaux guéris en une semaine
  • nombre de cas actifs en cours : 2.720 (courbe bleu ciel avec points)

 

Pour ce qui est de la vaccination, elle progresse bien. Au 5 septembre, voilà où nous en sommes :

  • Chez les plus de 18 ans (objectif que le gouvernement c'était initialement fixé : 10 millions d'adultes vaccinés) :
    • 11.242.806 personnes ont reçu une première dose
    • 8.929.045 personnes ont reçu deux doses
    • 664.113 personnes ont reçu trois doses (deux doses avec SinoVac + une dose d'AstraZeneca, pour renforcer les défenses immunitaires notamment contre le variant Delta)
  • Chez les 12-18 ans (campagne de vaccination commencée le 1er août, avec pour objectif 2 millions de jeunes vaccinés) :
    • 1.671.493 personnes ont reçu une première dose
    • 523.474 personnes ont reçu deux doses

Bonne semaine et à lundi prochain !

Marie et Marie, les baptisées de samedi dernier.
Marie et Marie, les baptisées de samedi dernier.
Areyksat by night!
Areyksat by night!

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Commentaires: 1
  • #1

    Dominique Tauveron (dimanche, 19 septembre 2021 17:06)

    Merci père de nous partager votre vie au Cambodge et les fruits de votre mission. La Mayenne ( et Paris!) ne vous oublient pas.
    Avec mon fraternel encouragement et mon union de prière.