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L'Humanité | Cambodge. La mainmise de Hun Sen sur l’économie et... les syndicats

1 200 travailleurs du textile en grève ont été licenciés vendredi. Seuls les syndicats progouvernementaux ont droit de cité. La création d’entreprise est elle aussi soumise à la corruption et à l’appartenance politique.

 

Au Cambodge, la négociation a des airs d’ultimatum. Vendredi dernier, 1 200 travailleurs de l’industrie du textile en grève ont été licenciés sans autre forme de procès. « On nous a dit de retourner à nos postes. Sinon, la société résilierait nos contrats sans compensation », explique Bun Samnang, un représentant des travailleurs de l’usine de vêtements W&D. Leur arrêt de travail s’inscrit dans un mouvement social d’ampleur démarré il y a une semaine dans le secteur de l’habillement. Ils réclament le paiement de leurs indemnités d’ancienneté et de départ pour les salariés en fin de contrat. Après avoir bloqué d’importantes artères de Phnom Penh, les ouvriers ont ensuite occupé leurs usines, déterminés à ne pas céder aux pressions patronales. « Nous n’acceptons pas cela parce que nous pensons que la société ne paiera pas notre indemnité d’ancienneté. En fait, nous avons peur de perdre nos emplois, mais nous n’avons pas le choix », précisait, la semaine dernière, Bun Samnang. Des menaces similaires semblent avoir été proférées dans l’ensemble des usines concernées. À Seduno Investment Cambo Fashion, seule une centaine de travailleurs auraient regagné leurs postes. La mise à pied des grévistes est loin d’être une nouveauté au Cambodge. En 2013, 415 travailleurs d’une usine sous-traitante de Nike avaient subi le même sort. Huit responsables syndicaux avaient quant à eux été jeté derrière les barreaux.

 

Depuis un an, une chappe de plomb s’est abattue sur le pays

Le porte-parole du ministère du Travail, Heng Sour, s’est empressé d’applaudir la stratégie patronale. Ce dernier a même soumis l’idée d’une grève manipulée par un mystérieux « agitateur » dont l’objectif serait de casser l’outil de travail. Cette déclaration n’est en réalité guère étonnante tant la criminalisation des syndicats reste d’actualité. « Au Cambodge, de nombreux syndicats sont contrôlés par le gouvernement. Une minorité des syndicats est pro-opposition. Un troisième groupe peut quant à lui être considéré comme neutre et ne veut être affilié à aucun camp », précise Poeun Kao, coordinateur de l’Association indépendante et démocratique de l’économie informelle.

 

Les syndicats liés à l’opposition ou indépendants rencontrent d’énormes difficultés dans l’organisation de leur activité. Pour exister, les organisations doivent préalablement s’enregistrer auprès du ministère de l’Intérieur. Dans les faits, seuls les syndicats progouvernementaux ont autorisation de déposer leurs revendications directement au ministère de tutelle. Les responsables de ces confédérations reçoivent quant à eux leurs salaires directement du gouvernement. « On ne sait pas d’où vient l’argent. Et lorsqu’un syndicat indépendant se réunit, la police intervient systématiquement », poursuit Poeun Kao.

 

Courant décembre, 95 organisations non gouvernementales (ONG) ont publié un communiqué afin de demander la relaxe de six dirigeants syndicaux ayant manifesté pour le salaire minimum en 2013. Ils ont été condamnés à deux ans et demi de prison avec sursis et au versement d’une indemnité de 35 millions de riels (8 750 dollars) pour des actes de violence. Pourtant, selon les ONG, la justice n’a « produit aucun élément de preuve établissant que les six hommes avaient commis les crimes qui leur étaient reprochés, et aucun témoin n’a été présenté pour prouver que les accusés avaient agi de manière violente durant les manifestations ».

 

Depuis les grandes mobilisations de 2013-2014, où les ouvriers du textile avaient rejoint les sympathisants de l’opposition réclamant le départ du premier ministre à la suite d’élections contestées, « le gouvernement craint que les rassemblements n’aboutissent à un coup d’État », analyse Poeun Kao. « Il est désormais très difficile de manifester librement », précise le syndicaliste. Il y a un an, une chape de plomb s’abattait en effet sur le pays. Après plus de trente ans au pouvoir, le premier ministre, Hun Sen, faisait interdire les partis d’opposition et les journaux indépendants avant les législatives de juillet dernier.

 

Le gouvernement, le patronat et une partie des syndicats marchent ainsi main dans la main. Ce n’est en réalité guère étonnant tant Hun Sen a fait main basse sur l’économie. En 2016, l’ONG Global Witness révélait que vingt-sept membres de sa famille détenaient des participations d’une valeur de 200 millions de dollars dans le capital d’entreprises cambodgiennes privées et publiques dans trente-sept secteurs d’activité. Ses proches étaient alors personnellement propriétaires de 25 % des actions de 103 des 114 sociétés privées dans lesquelles ils ont déclaré des intérêts. La corruption est également de mise. Sous couvert d’anonymat, un militant explique que « les syndicats ont l’habitude de dire que si vous respectez la loi, vous ne pouvez pas créer d’entreprise. Les dessous-de-table sont monnaie courante. C’est pour cela que la plupart des entrepreneurs tentent d’entrer en contact avec l’entourage du premier ministre lorsqu’ils souhaitent s’installer. Ce sont de véritables mafias. Il est impossible d’ouvrir ne serait-ce qu’un restaurant si l’on fait partie de l’opposition. Et dans mon village, on sait qui vote quoi ».

 

Lina Sankari