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Atlantico | Élections au Cambodge : mauvaise nouvelle pour la démocratie... et pour l'économie

Les résultats des élections législatives au Cambodge s'annoncent comme un plébiscite pour le Premier ministre Hun Sen, qui n'a face à lui aucune réelle opposition.

 

Entretien avec Sophie Boisseau du Rocher (docteur en sciences politiques, chercheure associée au Centre asie IFRI. Elle travaille sur les questions politiques et géostratégiques en Asie du Sud-Est)

Crédit : Manan VATSYAYANA / AFP
Crédit : Manan VATSYAYANA / AFP

Atlantico : Le résultat des élections législatives au Cambodge qui ont lieu ce dimanche semble couru d'avance avec la victoire déjà annoncée du Parti du peuple cambodgien, la formation du Premier ministre Hun Sen. Concrètement quelles conséquences cette élection pourrait avoir pour le pays ?

 

Sophie Boisseau du Rocher : D'ancrer plus durablement le Cambodge dans une dérive dont il mettra plusieurs décennies à se remettre. Après le choc Khmers Rouges, le choc Hun Sen. Le système mis en place par le Premier ministre depuis 33 ans est un système de contrôle non seulement sur le pays mais sur la société. Un système d'ailleurs pas très éloigné de celui mis en place par les Khmers Rouges qui surveillaient tous et partout. A cela s'ajoute une corruption endémique qui atteint les strates les plus lointaines du pouvoir. Ce qui se passe est très grave et n'est possible que grâce à l'aval du grand frère chinois qui entretient à coups d'investissements une illusion de croissance dont profite la population à la marge.

 

Le jour où Pékin décidera de lâcher ou de punir le Cambodge, les conséquences sur l'économie et la structure du pouvoir seront dramatiques. 

 

Est-ce que la consolidation des progrès économiques faits par le Cambodge est conditionnée à la stabilité du régime ? 

Les progrès obtenus depuis plusieurs années ne doivent pas impressionner. Certes la croissance avoisine les 7 % mais ce n'est pas vraiment significatif car il y a des manipulations statistiques. Et seule une petite frange de la population - entre 10 et 15 % - voit une réelle amélioration de la situation. Le système, très spéculatif, est loin d'être équitable et l'enrichissement scandaleux de certaines familles proches du pouvoir devraient nous interroger. Si plus que 15 % de la population vit dans l'extrême pauvreté, beaucoup ne sont pas loin du seuil de pauvreté établi par la Banque mondiale. Et les inégalités ne cessent de progresser. Enfin, cette croissance va avoir des répercussions négatives durables comme la déforestation sans avoir permis la mise en place d'une base industrielle émergente. L'économie cambodgienne reste dans des logiques de sous-traitance. 

 

Cette victoire annoncée serait-elle une bonne nouvelle pour les entreprises françaises implantées au Cambodge, la France étant le pays occidental dont les entreprises sont le mieux implantées dans le pays ?

Non bien sûr car on s'éloigne un peu plus de l'Etat de droit et d'une industrialisation qu'elles pourraient encourager et dont elles pourraient profiter. A nouveau la valeur ajoutée obtenue au Cambodge reste assez modeste faute d'un système éducatif approprié, d'efforts à long terme et d'une base industrielle solide. En outre, l'écart entre les investissements asiatiques (et notamment chinois) et les investissements occidentaux est colossal: au final, la part des entreprises françaises reste discrète dans la dynamique économique locale. Elles vont continuer à profiter d'une main d'oeuvre à bas coût mais on ne peut par parler d'un partenariat économique déterminant, pour les deux partis.