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RFI | Législatives au Cambodge : une élection contestée

Par Jelena Tomic, le 26/07/2018

 

Le Cambodge a subi un tournant autoritaire sans précédent à l'approche des élections législatives du dimanche 29 juillet. L'indéboulonnable Premier ministre Hun Sen, au pouvoir depuis 33 ans et son parti le Parti du peuple cambodgien ont toutes les chances de remporter ce scrutin très controversé. Accusé de préparer une « révolution de couleur » avec le soutien de Washington, le Parti du sauvetage national du Cambodge, principal parti d'opposition, a été dissout, son leader Kem Sokha emprisonné pour trahison et les médias indépendants fermés. Selon les observateurs, ce recul démocratique signe l'avènement d'un système à parti unique.

Des affiches du Parti du peuple cambodgien visibles à Phnom Penh, au Cambodge, le 26 juillet 2018 (REUTERS/Samrang Pring)
Des affiches du Parti du peuple cambodgien visibles à Phnom Penh, au Cambodge, le 26 juillet 2018 (REUTERS/Samrang Pring)

Depuis septembre 2017, le régime a intensifié la répression contre l'opposition, mais aussi contre les médias, les défenseurs des droits de l'homme et la société civile. Pour illustrer le climat de tension qui règne au Cambodge, rares sont les interlocuteurs disposés à parler politique, aussi bien dans le pays qu'à l’étranger.

 

Pour Emma Burnett de l'ONG Global Witness, il n'y a pas de doute: ces élections législatives ne sont ni libres, ni équitables : « Ces élections sont une imposture, parce qu'il n'y a pas de parti d'opposition crédible et légitime dans la course ».

 

« Le leader de l'opposition est derrière les barreaux. Il n'y a plus de médias indépendants au Cambodge. Le gouvernement a littéralement tué la presse libre », énumère-t-elle. « Toute voix critique est la cible d'une campagne brutale et le gouvernement surveille de très près internet pour bloquer les contenus indésirables et faire taire toute voix dissidente. Cela ressemble beaucoup à une dictature. On ne peut pas dire que ces élections soient crédibles ni légitimes, loin de là. »

Autocensure sur les réseaux sociaux

Et avec une population très jeune – plus de la moitié des Cambodgiens ont moins de 24 ans – la tentation est grande pour le parti au pouvoir de contrôler ces futurs électeurs. L’assassinat en 2016 d'un critique du régime, Kem Ley, la dissolution du principal parti d'opposition, la fuite à l'étranger de nombreux opposants et enfin les menaces de poursuites judiciaires ont fini par installer un climat de peur et imposer l'autocensure aux internautes.

 

« D'après les chiffres de 2017, environ 4 millions de personnes sont connectées à internet et utilisent les réseaux sociaux. En un an, le chiffre a probablement augmenté de un million. Cela signifie qu'environ un tiers de la population a accès au Web », explique Sokry Zahron, 24 ans, membre de la plateforme Politikoffee, un forum qui encourage les jeunes à débattre en politique.

 

Il n’a pas « personnellement […] d'information sur les éventuelles suppressions de comptes d'utilisateurs pour avoir exprimé leur opinion politique. Mais ce [qu’il sait], c'est que récemment le ministère de l'Intérieur a demandé à trois autres ministères de contrôler et de réguler les réseaux sociaux et leurs utilisateurs. Mais aujourd'hui la grande majorité des Cambodgiens évitent tout simplement d'afficher leur opinion politique sur les réseaux sociaux, car ils ont peur des représailles de ces trois ministères ».

Une élite politique en pleine transition

La perspective d'élections législatives disputées a créé cette année un environnement politique instable au Cambodge. Mais ce climat montre aussi selon Joséphine Ka, spécialiste du Cambodge que le pays se trouve dans une phase de transition. Si l’ancienne élite politique « est toujours en place », elle est en train de « se renouveler progressivement ».

 

Une évolution qui passe « évidemment par ce qu’on pourrait appeler "les enfants du PPC". Les nouveaux dirigeants sont aussi les descendants directs de cette vieille élite ». Mais qui s’accompagne également d’une « espèce de basculement ».

 

D’un côté, il y a « une volonté de tenir compte du changement de la société cambodgienne, notamment sa jeunesse » et de l’autre la résurgence de « vieux réflexes ». « C’est-à-dire ce discours présent depuis la fin du régime khmer rouge, selon lequel une pluralité politique est dangereuse pour un pays, parce qu’elle est potentiellement porteuse de conflits, de désordre, d’anarchie. Et c’est le discours qu’on entend à nouveau aujourd’hui. »

 

Reste à savoir si l’appel au boycott lancé par le parti d'opposition sera suivi d’effet. A ce stade, il est difficile de prévoir l’ampleur des abstentionnistes. Sur les 19 partis en lice face au géant du Parti du peuple cambodgien, un seul se situe réellement dans l’opposition, le parti Grassroots. On ignore cependant s’il réussira à relever le défi en récupérant les voix du Parti du sauvetage national qui est interdit. Verdict ce dimanche.


Entretien avec Monovithya Kem, fille aînée de l’opposant emprisonné Kem Sokha

Suite à la dissolution du principal parti d'opposition, le Parti du sauvetage national du Cambodge, dont le leader Kem Sokha accusé de trahison est en prison, la plupart des opposants vivent aujourd'hui en exil pour échapper à des poursuites, comme Monovithya Kem, la fille aînée de Kem Sokha, et directrice générale adjointe chargée de la communication du parti qui vit aujourd'hui en Californie.

 

RFI : Que répondez-vous aux accusations portées contre votre père Kem Sokha, qui est accusé de trahison et d'avoir tenté avec le soutien de Washington de renverser le pouvoir ?

 

Monovithya Kem : C'est une accusation sans fondement qui poursuit un seul objectif : éliminer l'opposition d'une élection que le régime aurait perdue si elles étaient organisées dans des conditions libres et équitables. Et pour avoir des élections libres et équitables, il est nécessaire en premier lieu de libérer Kem Sokha, d'autoriser le Parti du sauvetage national du Cambodge à participer à ce scrutin et de créer un meilleur climat pour la société civile, les médias et les partis politiques. La Libération du leader de l'opposition n'est donc qu'une composante d'une élection libre et transparente. Et ce qu'on peut constater aujourd'hui c'est qu'on est loin d'avoir un scrutin libre puisque le principal parti d'opposition a été interdit.

 

Mu Sochua, la vice-présidente du parti de l'opposition, qui vit elle aussi en exil pour éviter des poursuites judiciaires a récemment déclaré que la démocratie était morte au Cambodge, partagez-vous ce constat ?

 

Absolument

 

A quel moment le Premier ministre Hun Sen a-t-il commencé à renforcer sa mainmise sur le pouvoir et pourquoi ?

 

Je pense que c'est un processus qui s'est étalé sur plusieurs années. Aujourd'hui on est arrivé au point culminant de ce processus. Il a réussi a créer l'illusion d'une démocratie multipartite, mais à chaque fois que l'opposition s'est imposée comme un sérieux adversaire, Hun Sen s'est débrouillé pour s'en débarrasser. Et c'est ce qui est en train de se passer depuis septembre dernier. Il est très clair que si ces élections avaient été organisées librement avec la participation du principal parti d'opposition, Hun Sen aurait perdu le pouvoir. C'est la raison pour laquelle il a interdit le parti d'opposition et mis son leader en prison.

 

Hun Sen est au pouvoir depuis 33 ans, il espère s'y maintenir encore dix ans. Certains critiques dénoncent sa mainmise sur l'économie et l'enrichissement personnel du Premier ministre, de sa famille et d'une élite, une raison de plus pour expliquer la répression et son hostilité à l'encontre des dissidents. Je suis d'accord avec ce constat. Ils s'accrochent au pouvoir pour continuer à accaparer les ressources du pays. Aujourd'hui le Cambodge est géré comme une propriété privée par une élite et un cercle très proche de la famille de Hun Sen.

 

Avez-vous reçu des menaces depuis que votre père a été arrêté et incarcéré ?

 

Absolument, le gouvernement a rendu publique dans un communiqué mon interpellation dès mon arrivée à l'aéroport.

 

Comment vous considérez-vous aujourd'hui, comme une réfugiée politique ?

 

Actuellement, je vis à l'étranger et j'essaye d'alerter l'opinion internationale sur ce qu'il se passe au Cambodge. J'appelle à une réaction de la communauté internationale. Je pense que la communauté internationale et la France ont un rôle à jouer. La France en particulier en raison de ses liens historiques avec le Cambodge. J'espère que la communauté internationale et la France réagiront à la répression et demanderont au gouvernement cambodgien de répondre de ses actes. Car Hun Sen n'est pas préparé à subir des sanctions ni à vivre dans l'isolement. Il espère tout simplement qu'il n'y aura aucune conséquence négative à sa répression après ces élections.

 

Il n'est pas seulement question ici d'opposition ou des prochaines élections, il s'agit de dénoncer le fait que le Cambodge est devenu de facto un pays à parti unique, privé de liberté d'expression et de réunions. Les médias, la société civile, les Cambodgiens ordinaires vivent dans la peur, ils n'ont pas le droit au rassemblement, n'ont pas le droit de parler de sujets politiques, ni de mener des activités politiques, car cela représente une menace pour le parti au pouvoir. On est face à un pays qui se ferme, un pays dirigé par un parti unique, celui de Hun Sen.