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Capital | Au Cambodge, l'éducation, outil de propagande électorale

AFP/TANG CHHIN Sothy
AFP/TANG CHHIN Sothy

Par l'AFP, le 24/07/2018

 

A l'approche des législatives de dimanche au Cambodge, l'homme fort au pouvoir depuis plus de trente ans, Hun Sen, a placé l'éducation au cœur de sa campagne de propagande électorale.

 

Les cérémonies de remise de diplômes auxquelles il s'invite régulièrement sont l'occasion de répéter sa promesse de tout faire pour "offrir des opportunités aux jeunes de classes défavorisés".

 

"Je veux que chaque district ait un lycée, chaque commune un collège et chaque village une école", se plaît-il à déclarer, comme le 7 juillet lors de son discours de lancement de la campagne électorale des législatives.

Le budget de l'éducation nationale a même atteint cette année un record du quart du budget du gouvernement de ce pays pauvre d'Asie du Sud-Est, marqué par une corruption endémique.

 

Dans ce pays jeune, où un tiers de la population a entre quinze et trente ans selon les chiffres de l'ONU, le régime a compris son intérêt à miser sur l'éducation.

 

Quelque 300.000 jeunes Cambodgiens entrent en effet chaque année sur le marché du travail, souvent sans qualification adaptée, souligne l'ONU.

 

"Il y a beaucoup de diplômés mais peu d'emplois", déplore un jeune employé administratif, So Van Veasna, qui gagne 170 euros par mois et n'a jamais trouvé de travail à la hauteur de son diplôme de droit.

 

Hun Sen entend donc montrer qu'il fait tout pour désamorcer cette bombe à retardement, alors que les jeunes avaient voté en masse pour l'opposition, aujourd'hui interdite, aux législatives de 2013.

 

Interrogé par l'AFP, Sam Rainsy, le chef de l'opposition, en exil en France pour échapper à des poursuites, dénonce des "mesures de façade" et l'émergence de formations privées qui se révèlent "des usines à diplômes sans utilité".

 

Vitrines de cette nouvelle priorité, neuf lycées dits de "nouvelle génération" ont ouvert depuis trois ans à travers le pays, avec bibliothèque, laboratoires de sciences, tablettes dernier modèle et cours d'informatique.

 

"Ces écoles ne sont pas seulement pour les enfants de hauts fonctionnaires, les riches et ceux qui réussissent. Nous attribuons 30% des sièges aux enfants de familles pauvres et nous aidons tous les élèves de façon équitable", assure à l'AFP Sam Kamsann, principal adjoint du "lycée nouvelle génération" Sisowath de Phnom Penh, qui accueille plus de 700 élèves.

 

- Trouver du travail -

 

"En sortant d'ici, ils trouveront du travail", insiste l'enseignante de littérature khmère Men Solaneth.

 

Un système de tirage au sort permet de départager les centaines de candidats qui se pressent pour être admis dans ces écoles, alors que la majorité d'entre elles fonctionnent avec de maigres moyens.

 

"Cette école a de bons équipements, du coup les élèves prennent du plaisir à apprendre", assure Seng Sreyleak, une lycéenne admise grâce au tirage au sort.

 

Dans ces établissements, l'accent est mis sur la formation scientifique, les nouvelles technologies, dans un pays porté pour l'heure par des secteurs impliquant une main d'oeuvre peu qualifiée comme l'industrie textile.

 

Dans les écoles classiques, "sans même parler des équipements modernes tels que les ordinateurs, il n’y a pas assez de livres", critique Rong Chhun, membre de l’Association des professeurs indépendants.

 

A une centaine de kilomètres de Phnom Penh, dans la province de Kampong Chhnang, la révolution "high tech" des écoles "nouvelle génération" paraît bien loin.

 

Ici, le toit fuit, les tablettes sont en ardoise et souvent le professeur Yi Sareth achète lui-même des craies pour ses élèves.

 

"A la campagne, nous n'avons rien. Je suis désolé pour mes élèves qui parfois n'ont même pas de livre ou d'ardoise", raconte-t-il.

 

"Quand il pleut, l'eau fuit par le toit et elle abîme ou mouille les livres des étudiants", se désole Yi Sareth.

 

Une corruption rampante et la pratique courante des cours particuliers, payants, rend le système éducatif encore plus inégalitaire.

 

Et les ravages du régime khmer rouge, qui a vu mourir un quart de la population dans les années 1970, notamment des intellectuels comme les enseignants considérés comme des ennemis du peuple, ont encore aujourd'hui des conséquences, avec un déficit toujours marqué d'enseignants, les jeunes diplômés étant de surcroît peu attirés par une profession mal payée.