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La Croix | Le Cambodge poursuit sa dérive autoritaire

Par Éléonore Sok-Halkovich , le 26/06/2018

 

À un mois des élections générales du 29 juillet, le premier ministre Hun Sen, 65 ans, au pouvoir depuis 33 ans, persécute l’opposition et interdit tous les médias hostiles. Les fournisseurs d’accès à Internet devront en outre installer des logiciels pouvant être utilisés pour surveiller, filtrer ou bloquer tous les sites Web jugés illégaux.

Un tour sur un marché de Phnom Penh permet de prendre le pouls du climat délétère pesant sur la capitale cambodgienne. À la question « Que pensez-vous de la situation politique ? », les sourires se crispent, les sourcils se froncent, les gens font demi-tour. Un groupe de jeunes filles accepte de révéler leurs intentions de vote : « Nous soutenons le parti au pouvoir car il a développé notre pays », ânonnent-elles.

« Moi, je ne voterai pas cette année car il n’y a pas d’opposition », souffle une vendeuse, se gardant de mentionner un nom, comme si sa simple évocation faisait déjà courir un risque. « Il est devenu dangereux d’exprimer ses opinions, nous ne parlons plus politique en public », explique un chauffeur de tuk-tuk (moto-taxi).

Hun Sen, un leader tout puissant

Le premier ministre Hun Sen, 65 ans, détient le record de longévité politique en Asie, avec 33 ans de pouvoir et le projet claironné d’en faire dix de plus. Il a méthodiquement mis hors-jeu ses rivaux, et écrasé toutes velléités de contestation. En moins d’un an, le Parti du Sauvetage national du Cambodge (CNRP) qui l’avait talonné lors des élections communales de juin 2017, a été dissous. Son chef Kem Sokha, mis derrière les barreaux.

Des leaders de la société civile ont pris la fuite, tandis que des médias indépendants ont été contraints de fermer. Dernière victime : The Phnom Penh Post, plus ancien quotidien anglophone, racheté en mai par un groupe de communication malaisien qui compte parmi ses clients le Parti du peuple cambodgien (CPP) de Hun Sen.

La main mise du gouvernement sur internet

La majorité des médias traditionnels étant détenue par des proches du pouvoir, les Cambodgiens se tournent de plus en plus vers Internet pour obtenir des informations fiables et débattre, ce qui devient de plus en plus dangereux. Car si Hun Sen occupe déjà le terrain politique et militaire, il a compris qu’il devait aussi occuper l’espace médiatique et les réseaux sociaux. Sa page Facebook a passé la barre des dix millions d’abonnés, faisant de lui la 9e personnalité politique la plus suivie au monde.

Une « popularité » entachée de soupçons d’achats de « likes » dans des « fermes à clic » en Inde. En février dernier, l’ex-chef du CNRP Sam Rainsy, exilé en France, a porté l’affaire en justice auprès d’une cour californienne accusant Facebook de « devenir complice des dictateurs ».

« Les espaces de liberté se réduisent comme peau de chagrin. L’an dernier sept personnes ont été arrêtées pour des posts Facebook », rapporte Sek Sophal du Centre cambodgien pour les médias indépendants (CCIM). En avril, le gouvernement a aussi voté une loi criminalisant la lèse-majesté, sur le modèle du voisin thaïlandais.

Les ONG dénoncent le renforcement de la surveillance de l’Etat

La monarchie parlementaire cambodgienne réserve un rôle symbolique au roi Norodom Sihamoni, encadré par les autorités, mais sa signature est nécessaire au passage de chaque loi. Deux hommes ayant vilipendé en ligne sa passivité face aux dérives de Hun Sen ont déjà été mis en examen. Ils encourent jusqu’à cinq ans de prison.

Le tour de vis n’est pas près de s’achever. Un groupe interministériel vient d’annoncer la création d’un Centre de gestion des données par lequel devra transiter l’ensemble du trafic Internet, local et international. Si la lutte contre les « fake news » est mise en avant, les fournisseurs d’accès Internet devront installer des logiciels pouvant être utilisés pour surveiller, filtrer ou bloquer tous les sites Web jugés illégaux. Dans le même temps, le gouvernement planche sur une loi sur la cybercriminalité.

« Ces mesures visent à renforcer la surveillance de l’État, la censure et la criminalisation de l’expression en ligne au Cambodge », ont vivement alerté 117 ONG locales dans un communiqué. « Il y a tellement de nouvelles règles que je ne sais plus ce que je peux dire ou pas. Après le contrôle d’Internet, à quand l’installation de caméras dans nos chambres ? », s’inquiète Meng, une étudiante en communication de 22 ans, sur Twitter.

Hun Sen, un dirigeant à poigne

► Né en 1953, Hun Sen s’engage dans l’armée des Khmers rouges à 18 ans.

► Après avoir fui le pays, il revient en 1978, comme dirigeant du Parti communiste.

► Il devient premier ministre en 1985,puis « second premier ministre » en 1993 malgré une défaite électorale.

► Il reprend le contrôle du pouvoir en 1997, à la suite d’un coup d’État sanglant, pour ne plus cesser de le renforcer.

► En dépit d’accusations de corruption massive et de violations répétées des droits de l’homme, Hun Sen remporte les législatives de 2008 et 2013, entachées d’irrégularités.

► Les élections du 29 juillet 2018 risquent d’être tout aussi manipulées,en faveur de celui qui dit depuis toujours proclame qu’il se portera candidat jusqu’à 90 ans.