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La Croix | Les « Fidei donum », prêtres sans frontières

 

Par Martine de Sauto

 

Il y a cinquante ans, Pie XII publiait l'encyclique « Fidei donum » qui invitait les Églises du Nord à établir des relations de collaboration avec les Églises d'Afrique. Signes du « don de la foi », des prêtres sont, depuis, envoyés pour un temps déterminé.

 

Le jour de Pâques 1957, il y a donc un demi-siècle, paraît l'encyclique Fidei donum, adressée par Pie XII aux évêques du monde entier. Elle est publiée dans un contexte de profonds bouleversements. L'Europe, douze ans après la Seconde Guerre mondiale, profite des Trente Glorieuses.

 

En 1947, l'Inde est devenue indépendante. En 1949, la Chine continentale a basculé dans le communisme. En 1954, l'armée française est humiliée à Dien Bien Phu ; la même année commence la guerre d'Algérie. En 1955, 29 pays d'Afrique et d'Asie tiennent la conférence de Bandung, manifestant l'éveil du tiers-monde et sa volonté de se prendre en main. En 1956, à Léopoldville, capitale du Congo belge (aujourd'hui Kinshasa), des intellectuels chrétiens publient dans l'hebdomadaire Conscience africaine un manifeste réclamant l'indépendance à laquelle accéderont aussi, en 1960, les anciennes colonies françaises d'Afrique.

 

À Rome, le long pontificat de Pie XII (1939-1958) est sur le point de s'achever. Dans les Églises dites « jeunes », une certaine impatience se manifeste. En 1956 paraît le livre Des prêtres noirs s'interrogent (Cerf), dans lequel le jeune clergé africain exprime le désir de garder son identité noire à l'intérieur de la foi chrétienne. Le Vatican engage une politique de nominations d'évêques locaux, en Afrique et en Asie.

Une priorité de  Fidei donum : l'Afrique

Que dit alors l'encyclique Fidei donum ? Son titre, « le don de la foi », est expliqué dès la première phrase : « Les incomparables richesses que Dieu dépose en nos âmes, avec le don de la foi, sont le motif d'une inépuisable gratitude… L'esprit missionnaire qu'anime le feu de la charité est, en quelque sorte, la première réponse de notre gratitude envers Dieu : pour la foi que nous avons reçue de vous, voici que nous vous offrons, Seigneur, la foi de nos frères » (n. 1).

 

Suit un appel pressant : « Considérant la foule innombrable de nos fils qui, spécialement dans les pays de vieille chrétienté, bénéficient des richesses surnaturelles de la foi et, par ailleurs, la foule innombrable encore de ceux qui attendent toujours le message du salut, Nous voulons vous exhorter à soutenir par votre zèle la cause sacrée de l'expansion de l'Église dans le monde » (n. 2).

 

Une priorité est ainsi fixée : l'Afrique, qui « s'ouvre à la vie du monde moderne et traverse les années les plus graves peut-être de son destin millénaire » (n. 3). L'accession des peuples aux responsabilités de la liberté politique, l'attrait exercé par le communisme ou le matérialisme athée, la persistance des croyances païennes, le défi de la civilisation technique, la concurrence d'autres confessions plaident, explique le texte, pour un renfort missionnaire.

L'appel invite à porter "le souci de toutes les Églises"

L'appel, qui invite à porter « le souci de toutes les Églises » selon le mot de saint Paul (2 Cor 11, 28) par la prière et par l'entraide, est classique dans ses fondements.

 

Il comporte pourtant des accents nouveaux : insistance sur la nécessité d'accompagner les jeunes Africains étudiant hors de leur pays, proposition d'envoyer à durée limitée des prêtres diocésains, mais aussi des laïcs capables d'apporter aux jeunes Églises d'Afrique leur expérience d'action catholique, dans la perspective d'un « échange de vie et d'énergie » entre toutes les Églises.

 

L'encyclique manifeste aussi une évolution théologique : les évêques doivent se percevoir « solidairement responsables de la mission apostolique de l'Église » : moins de dix ans plus tard, ce sera un thème majeur de l'ecclésiologie de Vatican II ( Lumen gentium, 1964).

 

L'encyclique visait principalement l'Afrique, ne faisant qu'évoquer « les missions d'Asie, d'Océanie, les régions déchristianisées d'Europe et les vastes contrées d'Amérique du Sud ». Quatre années plus tard, en 1961, Jean XXIII demande le même type d'aide pour l'Amérique latine, ce qui donne naissance notamment au Comité épiscopal France-Amérique latine (Cefal).

"Mouvement d'internationalisation"

Depuis lors, des centaines de prêtres européens, couramment appelés « prêtres Fidei donum », sont partis vers ces continents. En 1971, année où la courbe atteint son apogée, ils sont ainsi 564 prêtres diocésains français oeuvrant hors des frontières. Les Italiens et les Espagnols sont alors deux à trois fois plus nombreux. Théoriquement, ces prêtres, qui restent incardinés dans leur diocèse d'origine, partent pour un temps limité afin de favoriser un certain « roulement ». Mais les cas d'enracinement de plus longue durée ne sont pas rares.

 

L'encyclique ne parlait pas spécialement des religieux et religieuses : depuis longtemps en effet, ceux et celles qui se sentaient appelés à servir au-delà des frontières entraient dans un institut missionnaire. Mais, dans les années qui suivirent la publication de Fidei donum, près de 180 congrégations non spécifiquement missionnaires ont fondé des communautés hors de France, dans l'esprit de Fidei donum.

 

« Nous étions à un moment particulier de l'histoire de la vie religieuse, explique Soeur Françoise Schill, chargée du service Vie internationale à la Conférence des supérieures majeures (CSM). Pie XII avait incité les instituts de vie consacrée à engager un profond mouvement de rénovation, qui a transformé la vie religieuse apostolique et donné des appuis nouveaux à sa dynamique missionnaire. Lorsque l'élan de Fidei donum a traversé toute l'Église, des instituts souvent diocésains, qui n'étaient pas missionnaires de tradition, ont entendu ce nouvel appel. Il importe de souligner que, dès le début, ce mouvement d'internationalisation fut de manière incontournable un échange. En 1970, 2 000 religieuses étrangères étaient déjà présentes en France. »

Des échanges sud-sud et sud-nord se sont développés

Du côté des laïcs, interpellés eux aussi par l'encyclique, l'écho fut le même. Pour y répondre et manifester le caractère ecclésial de l'envoi en coopération, l'épiscopat français crée en 1967 la Délégation catholique à la coopération (DCC). Le Service de coopération au développement (SCD) naît, quant à lui, en 1979 de la fusion de deux associations plus anciennes d'envoi de jeunes laïcs.

 

Les communautés nouvelles vont ensuite participer, elles aussi, à cet effort. La communauté de l'Emmanuel fonde par exemple Fidesco, qui envoie des coopérants en lien avec les Églises des pays du Sud. L'encyclique Fidei donum eut également des résonances dans la vie contemplative, suscitant une dynamique de fondation de dizaines de monastères en Afrique, mais aussi en Amérique latine et en Asie.

 

Aujourd'hui, le paysage de la mission a changé. Des prêtres, des religieuses, des laïcs volontaires continuent certes de partir, envoyés comme signes du « don de la foi » à d'autres Églises. Mais, souligne le P. Maurice Pivot, responsable de la cellule d'accueil des prêtres, religieux, religieuses étrangers en service pastoral en France, ils arrivent souvent désormais dans des Églises locales « de plein exercice ». « Ils y sont appelés à confirmer les chrétiens des autres continents dans la foi qu'ils vivent, en même temps qu'à en accueillir la vitalité », ajoute le rédacteur en chef du bulletin Mission de l'Église. 

À l'inverse, des diocèses lointains qui, il y a trente ou quarante ans, demandaient des « Fidei donum » pour favoriser la création d'un presbyterium local, envoient désormais et à leur tour des prêtres vers d'autres pays. Ainsi, le mouvement ne va plus seulement du nord vers le sud, mais du sud vers le sud et du sud vers le nord.

Des témoins inter-Églises

Le P. Michel Dujarier, longtemps « Fidei donum » au service du diocèse de Cotonou (Bénin), puis accompagnateur des prêtres français « Fidei donum » et aujourd'hui chercheur à l'Institut des sources chrétiennes, cite l'exemple de l'Église du Tchad : elle accueille actuellement 17 prêtres « Fidei donum », de 11 nationalités différentes - les trois quarts venant d'autres pays africains, mais aussi d'Amérique latine et d'Asie.

 

De même, des prêtres africains, latino-américains, asiatiques ou est-européens, dotés d'un contrat « Fidei donum » établi avec le diocèse qui les envoie et celui qui les reçoit, viennent en Europe pour participer à la vie pastorale. « Non sans parfois quelques difficultés, souvent liées aux différences dans les manières de vivre ou dans les sensibilités ecclésiales », précise Maurice Pivot.

 

« Des rencontres entre conférences épiscopales permettent cependant de mieux organiser les échanges, en précisant les critères et les exigences », ajoute Michel Dujarier, qui précise que dans certains cas l'arrivée de ces prêtres « risque aussi de masquer les carences et de freiner la recherche d'un renouvellement de la pastorale dans certains diocèses »…

 

Ces difficultés ne remettent pourtant pas en cause l'importance de ces témoins inter-Églises. Comme le résume Michel Dujarier, « les Fidei donum sont des prêtres sans frontières, qui permettent aux diocèses de s'ouvrir à la mission universelle et d'en donner des signes visibles ».